Après l’appui fort remarqué du chef de la diplomatie italienne, Antonio Tajani, au combat titanesque mené par le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, contre les « diktats » du FMI, en relation avec les négociations éprouvantes et interminables sur l’octroi du prêt tant convoité de 1,9 milliards de dollars; la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, est montée à son tour au créneau pour défendre âprement le dossier Tunisie. Pour en faire une solide alliée dans sa lutte contre l’immigration clandestine, afin de l’arrimer définitivement à l’Europe?
Y a-t-il lieu de s’inquiéter de la connivence manifeste entre d’une part, la fervente catholique Giorgia Meloni, cheffe de Fratelli italia, un parti d’extrême droite à l’idéologie xénophobe, raciste, islamophobe et postfasciste et qui promettait dans sa campagne électorale « un blocus naval » pour stopper les migrants sur la Méditerranée. Et d’autre part, le souverainiste Kaïs Saïed, président de la République tunisienne. Et ce, en matière de politique migratoire?
Un cadeau du ciel
Les observateurs des deux rives de la Méditerranée auront certes relevé à titre d’exemple la récente intervention pro-tunisienne du chef de la diplomatie italienne, Antonio Tajani.
En effet, ce dernier, s’exprimant lundi 26 juin 2023, en marge du Conseil des Affaires étrangères de l’Union européenne à Bruxelles, n’a pas hésité à apporté un soutien massif à la position du chef de l’Etat tunisien dans son combat contre les « diktats » imposés par les bailleurs de fonds, notamment le FMI. « Il est difficile d’exiger la levée des compensations sur le pain et le carburant pour éviter les tensions sociales en Tunisie ». Ainsi assurait-il, ajoutant qu’il est impératif d’« essayer de résoudre le problème financier, d’assurer la stabilité du pays et de l’Afrique du Nord et de réduire les flux migratoires ». Il concluait in fine que « tout le monde doit comprendre l’importance de la stabilité de la Tunisie alors qu’il y a une guerre aux frontières de l’Europe ».
Rebelote. Critiquée mercredi 28 juin 2023 au sein du Parlement italien par une certaine opposition sur sa supposée « connivence » avec le régime « autoritaire » de Kaïs Saïed, la réaction de la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni fut cinglante et tranchante comme une lame affutée. « Il serait inutile d’évoquer la question des régimes autoritaires, car je n’accepte pas de leçons de ceux qui ont marché aux côtés de Cuba la communiste dirigée par Fidel Castro et toutes les autres dictatures communistes du monde ». Et de une!
Et de rejeter d’un revers de main dédaigneux les allégations de ses adversaires politiques : « Avez-vous remarqué que j’étais en Tunisie avec la présidente de la Commission européenne et le Premier ministre néerlandais? Êtes-vous en train de dire que j’ai été tellement futée que j’ai réussi le coup de force de convaincre la Commission européenne de négocier avec des dictateurs? ». Ainsi, répliquait-elle, non sans ironie, tout en invitant l’opposition « à faire plus d’attention au choix des mots ».
Giorgia Meloni tiers-mondiste?
Abordant la question migratoire dans son ensemble, Giorgia Meloni rappela la position géographique de la Tunisie, un pays « voisin » dont « la stabilité est essentielle pour la zone méditerranéenne et l’Europe ».
Et d’affirmer avec des accents d’une femme d’Etat que si l’Italie voulait vraiment s’attaquer en amont au problème de la migration « il serait impératif de s’attaquer à la question du développement en Afrique ».
Giorgia Meloni transformée par une baguette magique en dirigeante tiers-mondiste ? On se frotte les yeux…
Car elle aura compris qu’« il s’agit d’y assurer la prospérité, la paix et une amitié durable. Avec un modèle de coopération au développement qui doit être basé sur l’équité », a-t-elle encore argué. Précisant que tel était l’objectif de sa récente visite en Tunisie avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte.
Sécurité de l’Europe, stabilité de la Tunisie
Revenant aux impératifs géopolitiques, la présidente du Conseil italien a conclu à la fin de son intervention enflammée devant le Parlement que la stabilité de la Tunisie « est un objectif primordial pour la sécurité de toute la région méditerranée ainsi que celle de l’Europe ».
Mais, ne résistant pas au plaisir de lancer un coup de griffes à ses collègues de l’opposition, elle s’écria : « Cela ne vous concerne pas car vous transformez tout en une vulgaire affaire politique ». Et de deux !
« Cet objectif, la stabilité de la Tunisie avait été reconnue par la Commission européenne indépendamment de son agenda politique ». C’est aussi ce que tenait à préciser la Première ministre italienne. En faisant part des efforts de son gouvernement pour aider la Tunisie à obtenir « dès que possible » un prêt de près de 1,9 milliard de dollars du Fonds monétaire international. Sans omettre le pactole 900 millions d’euros promis par l’Union européenne qui reste tributaire de l’accord préalable avec l’institution de Brettons Wood.
Le prix à payer
Pour rappel, le FMI exige que le gouvernement tunisien mette en œuvre une série de réformes avant d’accorder le prêt. Pour sa part, Tunis sollicite le déblocage dans l’immédiat d’une première tranche de financement. Le reste du prêt pouvant être versé en fonction de l’état d’avancement des réformes. Rome a mis tout son poids dans la balance pour exhorter le FMI à aider notre pays, confronté à une crise financière étouffante, à sortir la tête de l’eau.
Mais au-delà de la lune de miel entre Rome et Tunis, les Tunisiens ne sont pas dupes : le pacte migratoire européen- dont les contours sont encore flous- est à ce prix.