Octobre 2005, deux adolescents étaient tués par des tirs policiers. Plusieurs jours d’émeutes à Paris et en province. Violences, confrontations avec la police, pillages, voitures incendiées, vitrines brisées, commerces pillés…
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, dix-huit ans plus tard, la France revit le même cauchemar, mais avec plus de violences, plus de villes touchées, plus de destructions, plus de rage de la part des manifestants et plus de répression de la part de l’institution politico-sécuritaire. La raison? Mardi 27 juin, un policier tire sur un jeune français de 17 ans d’origine algérienne qui roulait en voiture et refusait d’obtempérer.
Il serait naïf de croire que c’est parce que le jeune Nahel M. a été tué par la police que la France est entrée en ébullition. De la capitale et ses banlieues tristes et lugubres, une violence sans précédent se propagea comme un feu de paille de Lille à Marseille et de Nantes à Strasbourg. La mort de cet adolescent n’est en fait que l’étincelle qu’attendait le baril de poudre que sont devenues les banlieues françaises.
Si les banlieues des villes françaises sont devenues des barils de poudre attendant la moindre étincelle pour exploser, c’est parce que les Français qui y habitent ne se sentent pas comme tels. Certes, les jeunes qui se déchaînent depuis le 27 juin sont nés en France. Leurs parents et, pour certains, leurs grands-parents aussi. Certes, ils ont la carte d’identité et le passeport français, mais sont traités comme des citoyens de seconde zone.
Ils entendent dire dès leur jeune âge que la France est le pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Mais dans la vie réelle, ils expérimentent sur une base quotidienne l’exact contraire de ce que suggère cette trinité française.
Liberté? Ils vivent dans leurs cités de béton entourés de « murs » de discrimination, d’incompréhension et de mépris.
Egalité? Les contrôles policiers et la discrimination dans des secteurs aussi vitaux que l’éducation, la santé et le marché du travail montrent qu’il n’en est rien. Pour paraphraser George Orwell dans ‘’La ferme des animaux’’, on peut dire sans exagération aucune que tous les Français sont égaux, mais il y a des Français plus égaux que d’autres…
Quant à la fraternité, le concept prêterait à rire au regard des déchirements politiques, culturels et identitaires qui minent la société française.
Pendant des décennies, l’Etat français a poursuivi une politique foncière et urbanistique désastreuse, visant à reléguer les millions de Français pauvres d’origine étrangère dans les banlieues de villes françaises. Ils y ont été parqués dans des cités-béton, grises, lugubres et tristes.
Plus désastreux encore, l’Etat français a toujours privilégié le traitement sécuritaire pour « résoudre » les graves problèmes multiformes de ces cités-béton. D’où la relation toxique entre les jeunes français d’origine étrangère et la police. Une toxicité qui croit proportionnellement au nombre des victimes des bavures, des tirs et des exactions de la police.
Dans son édition du 1er juillet, le journal Le Monde a tout dit en posant deux questions : « Comment faire croire au discours sur l’égalité républicaine des jeunes qui vivent comme une injustice et une humiliation chacun de leurs contacts avec des policiers? Comment rendre crédible la promesse de l’inclusion sociale à des adolescents visés à la fois par la ségrégation urbaine et par des pratiques discriminatoires? »
Mais les autorités françaises préfèrent encore et toujours la fuite en avant. Une fuite en avant clairement perceptible : 45 000 policiers déployés; menaces proférées par la Première ministre de décréter l’état d’urgence; menaces proférées par le ministre de la Justice de « condamner les parents des adolescents qui manifestent à deux ans de prison et 30.000 euros d’amende » !!! Que dire quand on sait que c’est ce même ministère de la Justice met « un numéro vert » à la disposition des enfants et des adolescents « victimes d’abus de leurs parents »…
Qu’appelle-t-on cela, sinon l’absurde judiciaire? Si le parent empêche son enfant récalcitrant de sortir en utilisant éventuellement la violence, il fera face à la Justice. S’il échoue à empêcher son enfant de sortir manifester, il pourrait se faire condamner à deux ans de prison et 30.000 euros d’amende…
Cela dit, il ne faut pas être un génie pour comprendre que pour faire baisser la tension dans une société, il suffit de faire baisser les inégalités sociales. Mais, visiblement, c’est le dernier souci des gouvernements successifs français qui se sont succédé pendant des décennies. Pourtant, des études sérieuses proposant des plans sérieux en faveur des cités-béton et de leurs habitants démunis.
Tel « le plan pour les banlieues » que Jean-Louis Borloo avait préparé en 2018. Ce plan qui proposait des solutions, mais en même temps dénonçait « une inégalité flagrante et fondamentale dont la résorption aurait dû faire l’objet depuis longtemps d’une priorité nationale » avait été « rejeté par Emmanuel Macron » !
Mais, et c’est un secret de polichinelle, Macron est là pour servir la haute finance française. Et qu’importe la réduction des inégalités. Il est là pour aider les riches à s’enrichir encore plus.
Autant de violences, autant d’atrocités, autant de destructions qui endeuillent la France depuis le 27 juin auraient certainement été évités si seulement un petit pourcentage de la richesse des milliardaires français avait été alloué, par le biais de l’impôt, vers les programmes « d’humanisation » des banlieues. Mais, pour Macron, une telle idée n’est pas à l’ordre du jour.