En attendant que le bras de fer entre le ministère de l’Education et la Fédération générale de l’enseignement de base se termine par un compromis qui sauve la face des uns et des autres, à moins que l’on s’oriente vers une logique de confrontation qui semble inéluctable, nos élèves, pris en otage par les adultes, vivent dans l’incertitude et le désarroi total. Analyse.
Dans son bras de fer titanesque avec la Fédération générale de l’Enseignement de base et ses 77 826 adhérents, le ministre de l’Education, Mohamed Ali Boughdiri, joue ce mardi 4 juillet un coup de poker menteur. A savoir : soit la mise totale sur la table de toutes ses cartes; y compris mettre ses menaces à exécution dans une logique de confrontation aux conséquences hasardeuses. Soit plier l’échine devant le puissant syndicat. Lequel s’est transformé, aux dires de son prédécesseur, l’ancien ministre de l’Education, Néji Jalloul, en un « parti politique » qui rejette l’autorité même de la centrale syndicale.
Dans le deuxième cas, c’est la mort politique assurée de M. Boughdiri. A cet égard, notons qu’il a été choisi entre autres par le président de la République en personne pour ses qualités d’ancien syndicaliste rompu aux négociations difficiles. Mais, le titulaire du doctorat en Chimie de la Faculté de Tunis, qui occupa le poste de secrétaire général de l’Union régionale du Travail de Ben Arous et qui fut également élu secrétaire général adjoint de l’UGTT chargé du secteur privé, ira-t-il au bout de cette logique en croisant le fer avec ses anciens camarades?
Choix cornélien. Car l’homme poussé dans ses derniers retranchements par l’intransigeance de ses vis-à-vis n’a plus rien à perdre. C’est du quitte ou double !
Différend financier
Rembobinage des faits. Le fond du problème réside en un différend financier entre les deux parties. Ainsi, le ministère, les mains liées par la conjoncture économique et financière que l’on sait, propose une augmentation de 100d sur trois tranches à partir de 2026. Alors que la partie syndicale exige auparavant le versement de la prime pédagogique en 2024 ou en 2025 au plus tard; et ce, avant de discuter de l’offre ministérielle.
La goutte qui a fait déborder le vase est que, suite à l’échec de la séance de négociation, tenue le jeudi 22 juin 2023 entre la partie syndicale et le ministère de tutelle, la Fédération de l’enseignement de base publiait samedi 1er juillet 2023 un communiqué appelant de nouveau ses adhérents à continuer de retenir les notes. Mais aussi à refuser de fournir à l’administration des données relatives aux examens sur l’espace numérique. Sous prétexte qu’il s’agit « d’un non-sens » qui vise à « créer des tensions parmi les adhérents ».
La même source estime que l’appel du ministère de tutelle aux enseignants et aux directeurs d’écoles primaires à remettre les notes le 4 juillet prochain et à tenir les conseils de classes, traduit « son incapacité à régler les problèmes résultant de la rétention des notes ». Tout en soulignant que la seule issue à la crise « est de répondre positivement aux revendications du secteur ». La rupture entre les deux camps est totale!
Des menaces à prendre au sérieux?
Face à la ligne dure adoptée par le secrétaire général de la Fédération, Nabil Houachi- alors que celle de l’enseignement secondaire avait accepté l’accord à minima, d’ailleurs au grand mécontentement d’une bonne partie de la base syndicale qui a crié à la « trahison »- le ministère de l’Education a appelé ce lundi les enseignants du primaire à remettre les notes aux élèves au plus tard mardi 4 juillet 2023, « dans le souci de faire primer l’intérêt des élèves ».
« Le ministère, assure M. Boughdiri, ne restera pas passif ». En précisant que l’État « n’est pas aussi faible que certains peuvent l’imaginer et qu’il est capable de protéger ses enfants ».
Par ailleurs, un communiqué officiel émanant du département de tutelle menace les enseignants récalcitrants de prendre « les mesures administratives et juridiques nécessaires ».
Que signifie au juste l’application à la lettre des mesures administratives et juridiques nécessaires?
En termes juridiques, cela veut dire que faute de travail non accompli, y compris la rétention des note, le refus de consigner les carnets de notes ainsi que le boycott des conseils de classe durant les deux premiers trimestres et surtout à la fin de l’année scolaire, le ministère de tutelle peut recourir à son tour à la rétention de salaires des enseignants récalcitrants.
D’autant plus que les enseignants sont tenus de quitter leur établissement après s’être acquittés de leurs « tâches administratives » le vendredi 30 juin 2023. Alors que d’autres enseignants seraient appelés à effectuer des tâches en lien avec les examens nationaux.
La solution ne peut être que politique
M. Boughdiri franchira-t-il le Rubicond? Ira-t-il jusqu’à prendre le risque de priver les milliers d’enseignants de leur salaire durant les mois d’été, comme l’exige la loi de la Fonction publique? Et que devrait faire le ministère de l’Education si une bonne partie des enseignants boycottait la prochaine rentrée scolaire?
La réponse aux conséquences incalculables est donc d’ordre politique. Car elle engage l’autorité de l’ensemble de l’équipe gouvernementale et surtout celle du président de la République, Kaïs Saïed. Lequel, tout en rappelant le 4 mai écoulé « le rôle sacré des éducateurs, des enseignants et des professeurs à tous les niveaux d’enseignement », exigea « de parvenir rapidement à une solution pour mettre fin à la crise liée au blocage des notes ».
En attendant la solution miracle, tout semble indiquer que l’on s’oriente vers à une année blanche et au passage automatique de classes d’environ 1 224 012 élèves du primaire. Un coup fatal porté à la qualité de l’enseignement pour les futures générations. Hélas, qui s’en soucie?