Signe des temps, les examens de passage ou de fin d’études ne dérogent pas à la règle, la fracture sociale et régionale s’amplifie et s’aggrave. Le contraste est si fort qu’il fait apparaitre deux pays pour ainsi dire aux motivations différentes… Celui d’en haut est focalisé sur les premières places en prévision d’études à l’étranger ou pour accéder localement aux filières de son choix. Pour celui d’en bas, réussir, c’est déjà un exploit pour les parents en grande précarité.
Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Cent mille élèves quittent prématurément chaque année l’école. Une véritable bombe à retardement. C’est la pire des infamies, le déshonneur du pays qui a promu l’enseignement au rang de quasi-religion de l’État et en avait fait sa principale vertu cardinale. A l’étage d’en haut, quand sonne l’heure de l’épreuve du baccalauréat, la cassure est encore plus franche et plus effroyable. Cette année encore, les résultats confirment la dérive des continents qui fait craindre un séisme d’une très forte amplitude. La cartographie des réussites est calquée sur celle de l’indice de développement humain régional. Le centre, le sud, le nord-ouest sont à la traine, en déperdition, en plein décrochage. Le littoral, Sfax en tête comme c’est de tradition, trône en haut du classement. Le désert économique engloutit tout le reste.
A l’étage d’en haut, quand sonne l’heure de l’épreuve du baccalauréat, la cassure est encore plus franche et plus effroyable.
L’histoire est cruelle : Kasserine, Gafsa, Jendouba, Tozeur, Kairouan, Sidi Bouzid… méritent un meilleur sort que celui de végéter au bas du tableau, ne serait-ce qu’au regard de leur long combat pour les libertés et l’émancipation. Au nom de quoi leur fait-on subir cette double peine ? Insuffisamment dotées d’infrastructures économiques et sociales, de projets structurants, d’activités industrielles et de services, d’écoles et d’hôpitaux dignes de ce nom, ces contrées sont du coup privées d’enseignants expérimentés et d’un écosystème de nature à promouvoir le rayonnement d’un enseignement qui imprime sa marque sur l’ensemble de la région. Au lieu de quoi, elles sont réduites au statut de territoire de seconde zone.
L’histoire est cruelle : Kasserine, Gafsa, Jendouba, Tozeur, Kairouan, Sidi Bouzid… méritent un meilleur sort que celui de végéter au bas du tableau
A la première session du bac, près des 2/3 des candidats des régions passées par pertes et profits sont mis au rebut. Une hécatombe. Combien de rescapés au second tour ? Pas de quoi pavoiser quand on sait qu’ailleurs, dans les démocraties abouties, le taux de réussite au baccalauréat dépasse les 80% d’une classe d’âge, tout en dispensant un enseignement de pointe, rénové, adapté aux besoins du monde qui arrive, sans recours aux cours particuliers devenus une véritable institution parallèle. Au final, globalement, le verre sera à moitié plein, mais ce goût de cendre est tempéré par d’éclatantes réussites qui témoignent du génie d’un pays, porté tout au long de son histoire par d’illustres civilisations millénaires.
Ne boudons pas notre joie de voir ces jeunes prodiges toucher le graal du savoir. Qu’il y ait, de surcroit, plus de filles que de garçons en effectif et aux premières loges devrait couvrir de honte et de dédain les pourfendeurs de la modernité, lourdement sanctionnés par les urnes et la légalité républicaine. Ils viennent, au vu de cette prédominance féminine, de se voir infliger la pire des sentences.
Pour autant, l’école républicaine, jadis garante de l’égalité des chances et vecteur d’ascension sociale, n’est plus ce qu’elle était et ce qu’elle devrait être. Le comble est qu’elle soit devenue une monstrueuse machine à fabriquer les inégalités, la discrimination et l’exclusion. Les jeunes, abandonnés sur le bas-côté d’une route dont on discerne mal le tracé et l’issue, se voient confisquer leur avenir. Sans débouchés et sans perspectives, ils n’ont d’autre horizon que celui des embarcations de la mort. De quelle dignité, citoyenneté et souveraineté ose-t-on encore parler ?
Editorial paru dans le Mag de l’Economiste Maghrébin N°873 du 5 au 19 juillet 2023