Le président de la République a beau limoger le président la Commission nationale de conciliation pénale, changer sa composition, rien n’y fait. C’est que ladite Commission travaille sur des données non actualisées; donc approximatives par essence.
Ce sont des chiffres qui donnent le tournis : dix milliards de dollars, soit environ 30,8 milliards de dinars tunisiens. Soit presque la moitié du budget de l’État pour 2022 qui s’élève à 57,2 milliards de dinars. Soit plus de quatre fois le montant du prêt que Tunis espère obtenir de la part du Fonds monétaire international (FMI).
Telle est la somme faramineuse promise au président de la République, Kaïs Saïed, par Fatma Yaacoubi, membre de la Commission nationale de conciliation pénale. Cette institution annoncée en mars 2022 ambitionne de se substituer aux poursuites judiciaires. Et ce, par le paiement de sommes d’argent ou par la réalisation de projets nationaux, régionaux ou locaux dans les régions les plus défavorisées de la Tunisie.
Une aubaine céleste alors que nous sommes aux abois, que les caisses de l’Etat sont vides et que notre pays est en proie à une crise financière aiguë. Sauf que la dame en question affabulait sur toute la ligne. S’est-elle emmêlée dans ses pinceaux en citant des chiffres fantasques ou cherchait-elle tout simplement à se mettre en valeur; quitte à induire le président en erreur? Pitoyable et grotesque.
Une histoire abracadabrantesque
En effet, très sûre d’elle, Fatma Yaacoubi susurrait à l’oreille du président qui rendait une visite le 20 juin au siège de la Commission, qu’un homme d’affaires en exil soupçonné de corruption et désireux d’éviter les poursuites, avait fait une demande de réconciliation de près de, tenez-vous bien, 10 milliards de dollars. Et ce, en contrepartie d’une amnistie. Sauf qu’aucun homme d’affaires tunisien ne dispose d’une telle fortune, sinon il aurait figuré automatiquement au classement des milliardaires établi chaque année par Forbes.
« Trente milliards, cela veut dire trente mille millions de dinars », insista la dame lorsque le chef de l’Etat, visiblement surpris, la questionna pour vérifier la véracité de cette somme stratosphérique. « Si une telle somme pouvait provenir d’une seule personne, cela nous éviterait d’emprunter auprès d’une quelconque institution », répliquait le chef de l’Etat, en toute bonne foi.
D’ailleurs, la sanction est tombée comme un couperet : elle fut limogée le 7 juillet « avec effet immédiat » par un décret présidentiel.
Situation intenable
Faut-il rappeler à cet égard que ces milliards promis coïncident avec l’état piteux de notre économie avec un gouvernement Bouden confronté à une crise inédite accentuée par le manque de liquidité et par le retard accusé dans l’octroi d’un crédit par le Fonds monétaire international (FMI). Et ce, faute d’engagement ferme de notre pays à mettre en œuvre un programme de réformes crédible; ainsi qu’au refus de Kaïs Saïed de se soumettre aux injonctions du FMI.
Ce fait anecdotique et surréaliste à plus d’un égard est emblématique des difficultés réelles que rencontre la Commission de la conciliation nationale chargée de récupérer une partie des biens spoliés, une initiative prise par le président de la République avant même son accession au pouvoir.
Les remontrances du président
D’ailleurs, lors de sa dernière visite au siège de la Commission nationale de la conciliation pénale au mois de juin dernier, Kaïs Saïed, déçu par le manque flagrant de résultats, n’aura pas caché son dépit ni sa déception : « Alors que nous sommes en pleine course contre la montre pour restituer l’argent spolié du peuple, qu’avez-vous fait depuis novembre jusqu’à présent? Rien », a-t-il constaté, amer. Tout en soulignant à l’occasion que les membres de la Commission ayant failli « doivent assumer leurs responsabilités ».
« J’avais proposé ce projet de loi le 20 mars 2012, lorsque je n’étais que simple citoyen, pour que les biens spoliés soient restitués au peuple tunisien. Le décret a été publié en novembre 2022. Alors que la commission a déjà commencé à travailler, rien n’a encore été fait. L’argent est là. Vous avez toutes les preuves et les dossiers, à commencer par le rapport de 2012. Vous avez aussi le pôle financier. Je vois que rien n’a été accompli », avait-t-il déjà déploré en mars 2023, lors de sa première visite au siège de la Commission.
Une machine grippée
Alors, comment expliquer que la machine se grippe et que le projet présidentiel soit resté lettre morte alors que selon l’ex-président de la Commission Makram Ben Mna, limogé par le président de la République en mars 2023, de nombreuses personnes sont désireuses d’adhérer au processus de la réconciliation nationale.
A l’instar du neveu de Leïla Trabelsi et ancien homme d’affaires, Imed Trabelsi. Lequel aurait sollicité, via la direction de la prison civile d’El Mornaguia, une demande de réconciliation pénale à ladite commission et proposé 33 millions de dinars, selon le membre de son comité de défense Issam Samaali ?
La vérité est que le grain de sable qui enraye la machine n’est autre que l’estimation biaisée des montants de dédommagement au profit de l’Etat.
En effet, se basant sur un rapport élaboré en 2011 par l’ancienne Commission d’investigation sur les faits de corruption et de malversation, présidée à l’époque par le juriste défunt Abdelfattah Amor, Kaïs Saïed tablait sur une liste de 460 hommes d’affaires qui auraient pillé entre 10 et 13,5 milliards de dinars.
Or, cette liste restée confidentielle qui n’est pas encore mise à jour, est contestée par des hommes d’affaires dont certains ont prouvé l’origine légale de leur fortune. Tandis que d’autres ont été blanchis par les tribunaux. Alors que des soi-disant affairistes mafieux ont placé leur argent mal acquis dans des paradis fiscaux inaccessibles pour la justice tunisienne. Sans omettre les personnes décédées entre temps. C’est là où le bât blesse.