La migration est un phénomène aux multiples facettes qui demeure bien souvent le résultat de dynamiques complexes mêlant considérations humanitaires et enjeux géopolitiques.
Le Docteur Rafaa Tabib (HDR), géopolitologue, professeur-conférencier à l’École supérieure de guerre, propose une analyse approfondie des différentes approches face à la migration, en mettant en évidence les tensions entre les principes antiracistes mondiaux et les intérêts géopolitiques nationaux.
Selon Rafaa Tabib, l’Europe ne souhaite généralement pas accueillir la migration subsaharienne sur son territoire. C’est ainsi que l’Europe a d’abord opté pour la militarisation de ses frontières en Méditerranée. Puis, avec l’intégration de la Tunisie à l’intérieur de ces frontières méditerranéennes, le contexte s’est étendu jusqu’en Libye, entre le Niger et la Libye. L’Europe manifeste son refus de cette migration. Par ailleurs, il est important de souligner la position des organisations des droits de l’Homme, notamment l’exemple récent de Human Rights Watch qui a déclaré que la Tunisie ne devrait pas expulser les migrants présents sur son territoire. Il est intéressant de se demander pourquoi d’autres pays, comme l’Italie, le font malgré cela.
La question des flux migratoires
Par ailleurs, il est crucial d’aborder la question des flux migratoires avec une vision globale et une compréhension approfondie de leurs implications géopolitiques.
Selon l’analyse du géopolitologue, il est préoccupant de constater que la Grande-Bretagne envisage sérieusement d’envoyer ses migrants en Libye ou au Rwanda. Il est important de souligner que l’Europe finance des milices en Libye dans le but de retenir les migrants subsahariens dans des conditions similaires à l’esclavage.
De plus, les Européens exercent une pression sur la Tunisie en la stigmatisant comme un pays en échec qui refuse les migrants. Il est important de réfuter catégoriquement l’idée selon laquelle nous ne pourrions pas renvoyer les Subsahariens aux frontières, car cela se fait déjà avec les migrants présents sur notre territoire. Il convient alors de se demander quels migrants sont présents chez nous. La majorité d’entre eux sont en réalité français. La France a fait le choix de la migration pour reconstruire son pays après la Seconde Guerre mondiale, durant les Trente Glorieuses (une période d’expansion économique sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au choc pétrolier de 1973), afin de stimuler son économie prospère.
En outre, le géopolitologue relève un troisième point de vue important. Il affirme que l’Union européenne fait face à un déclin démographique et nécessite donc une politique migratoire; tandis que d’autres pays ont choisi de ne pas accueillir de migrants. Cependant, il soulève la question de ce qui se passe à l’intérieur de ces pays. Selon lui, les défenseurs des droits de l’Homme seraient rémunérés en devises pour créer une situation intérieure donnant l’impression que la société tunisienne est en demande de changements; et même en suggérant que les Tunisiens seraient racistes. Il critique également le manque d’intervention lors des événements tragiques à Sfax, où des personnes ont été tuées dans les rues. Il souligne que personne n’est venu à Sfax pour agir. Il mentionne Chokri Mabkhout, qui a écrit sur la génération de l’euro, affirmant qu’elle se contente de dire ce qu’on lui demande de dire. Selon lui, ces personnes sont liées à des contraintes et exercent une pression à l’intérieur du pays. De plus, il constate que la majorité des informations produites proviennent de Facebook.
Ces observations mettent en évidence les dynamiques complexes à l’œuvre dans les débats sur la migration et soulèvent des questions sur les influences extérieures et intérieures qui peuvent façonner les perceptions et les politiques dans ce domaine.
Par la suite, le conférencier à l’Ecole supérieure de guerre évoque un autre point important lorsqu’il est question de migration, où les discussions se concentrent souvent sur « les pauvres Africains ». Mais on oublie souvent l’élément crucial qui se cache derrière eux : l’implication de réseaux mafieux, ainsi que ceux qui ont contribué à des conflits ethniques dans la criminalité frontalière et bien d’autres…
Selon lui, ce triptyque d’éléments suscite l’intérêt des Européens dans la négociation d’accords avec la Tunisie, en cherchant à payer le moins possible.
En outre, il affirme que les Européens exercent une pression en utilisant ces éléments dans leur stratégie. Pour la simple raison qu’ils se retrouvent sous pression et non la Tunisie. Il insiste sur l’importance de comprendre la question migratoire en tenant compte de ces acteurs et de cette stratégie.
Ces remarques mettent en lumière les enjeux géopolitiques complexes entourant la question migratoire, ainsi que les influences régionales et les dynamiques politiques qui peuvent façonner les positions et les intérêts des pays concernés.
Et pour conclure, le Dr Rafaa Tabib souligne l’importance de ne pas adopter une perspective limitée lorsqu’il s’agit du phénomène de la migration. Il affirme que la migration est un phénomène qui dépasse les frontières continentales et nécessite une compréhension géopolitique approfondie pour être pleinement appréhendée. Tout en concluant : « Lire la migration sans une échelle géopolitique est impossible ».