Il est de plus en plus clair que les solutions provisoires, fabriquées à la va vite, pour un retour de l’Etat, une relance économique prometteuse, une stabilité sociale solide et une souveraineté nationale qui résiste à toutes les pressions intérieures et extérieures, ne peuvent qu’aggraver la crise politique, économique et sociale, sans parler de la crise sociétale que vit la Tunisie. Un débat de fond, basé sur un diagnostic exigeant et réaliste s’impose! A condition qu’il ne soit pas cantonné dans des « commissions » et autres structures partisanes et sectaires.
Bien sûr, tout le monde revendique un tel débat, mais y met ses conditions et tente d’imposer sa perception, ainsi que ses intérêts partisans. De l’indépendance de la Tunisie jusqu’à 2011, le parti destourien et l’Etat prenaient l’initiative d’un tel débat qui engage l’avenir de la Nation. Et ils s’assuraient toujours de la participation des trois grandes organisations nationales, l’UGTT, l’UTICA et le syndicat des agriculteurs. Jamais ces trois grandes organisations n’ont été à l’origine d’un débat national, mais ont contribué effectivement à tracer les grands axes de la politique de l’Etat, l’UGTT principalement.
L’absence des structures adéquates
Il faut rappeler cependant qu’on vivait pratiquement jusqu’à 2011, sous le régime du parti unique, le Destour précisément. Sous Ben Ali, le multipartisme était juste une façade, mais les petits partis qui avaient quelques élus à l’assemblée nationale, participaient activement dans les commissions parlementaires, souvent à huit clos, loin des yeux des médias, à l’élaboration des plans et surtout à préparer le budget. Souvent le gouvernement ou les ministres étaient obligés de revoir leurs copies.
Depuis la deuxième constituante, le multipartisme devient une réalité politique en Tunisie, mais les débats sérieux qui touchent aux projets qui peuvent rehausser la Nation et créer les conditions d’un redressement national, furent totalement absents. Le multipartisme, au lieu de favoriser le débat d’idées est devenu une arène de gladiateurs et le parlement a de plus en plus ressemblé à un cirque, et une scène de combats meurtriers entre des partis qui étaient tous ou presque gérés par de puissants lobbys d’affaires ; quand ce ne sont pas des lobbys liés à des parties étrangères.
Ainsi, les partis qui ont pris le pouvoir après 2011 n’avaient pas de projets pour la nation ; et encore moins de projets de relance économique. Tout en continuant à vilipender le projet de développement de l’Etat dans les deux périodes de Bourguiba et de Ben Ali. Pendant dix ans de règne des islamistes et de leurs alliés dont Nidaa Tounes, ils n’ont fait qu’emprunter de l’argent et la dette extérieure a été multipliée par cinq. L’argent emprunté a été carrément dilapidé et le taux de croissance n’a jamais dépassé les 2 % pendant toute la décennie. Tous les acquis économiques et sociaux furent anéantis sans que le pays arrive à voir le bout du tunnel.
Depuis 2019 les choses n’ont fait qu’empirer! Une gestion cacophonique au jour le jour qui provoque une grave crise économique et sociale dont les conséquences, selon tous les experts nationaux et internationaux, peuvent être l’effondrement économique et financier. D’où l’urgence d’un débat sérieux et serein sur les grands axes d’un vrai redressement national.
A l’adresse de ceux qui ont appelé à un tel débat, le Président de la République a rétorqué que l’espace adéquat pour ce débat est bien l’assemblée nationale, récemment élue; mais mal élue avec une participation extrêmement faible des électeurs inscrits. En cela, le Président de la République a bien raison. Sauf que des mois après son élection, cette assemblée évite tout débat sérieux sur l’avenir politique, économique et social du pays. Il ne semble pas que dans cette nouvelle assemblée, un parti politique ou des personnalités qui ont un poids symbolique aient vu même la nécessité d’un tel débat. Aucune loi majeure qui peut changer la donne économique n’a été discutée. Tout se passe comme si nos députés ne réalisent pas la gravité de la situation. Mais pourquoi le Président de la République lui-même ne prend-il pas l’initiative de poser à la Nation les grands défis qui, selon lui, se posent à elle? Il serait dans son rôle, tel que toutes les constitutions depuis la première constituante l’ont fixé. En tout cas le pays ne peut pas faire l’économie d’un tel débat.
Les faux débats
Par ailleurs, la Tunisie a connu plein de faux débats depuis la seconde constituante, dont le plus révélateur sur l’état d’arriération de ses supposées élites politiques est celui sur l’identité de la Nation qui touchait l’article un de la Constitution de 2014. Pourtant ce même débat a eu lieu la veille de l’Indépendance et le pays avait résolu le problème il y avait bien longtemps.
Sauf que les islamistes d’Ennahdha ne voyait pas les choses de la même façon que les républicains de la première heure et avaient voulu imposer une constitution de nature théocratique. Logique en somme, car l’islam politique n’a qu’une recette qu’il résume en une phrase : L’Islam est la solution. Une solution qui a réussi il y a plus de quatorze siècles mais qui ne peut en aucun cas relever les défis que pose le XXIème siècle à la jeune République tunisienne. Engager le pays dans un débat sur une question religieuse c’était l’engager dans une impasse.
L’autre faux débat posé dans cette deuxième constituante était de choisir entre le régime présidentiel et le parlementaire et finir par opter pour le second. L’on a vu ce que cela a donné! Un système hybride qui a empêché de gouverner, même ceux qui l’ont imposé, les islamistes. Tout cela parce que ce système leur permettait de phagocyter l’Etat et de régner en maître sur les partis dits modernistes, en les transformant en appendices de l’islam Politique.
Pendant plus de dix ans, aucun débat sur les grands choix économiques et la nécessité de redéfinir le rôle de l’Etat n’a eu lieu. Pour s’en convaincre il n’y a qu’à jeter un coup d’œil, même rapide, sur les lois budgétaires. Les mêmes que celles qui ont été votées avant 2011. Ce qui prouve que l’on a continué à nous servir la même soupe en plus mauvais. Puisque l’argent emprunté a servi à payer des salaires et pratiquement pas d’investissements. Ce qui fait que nous avons en Tunisie une des masses salariales, par rapport au PNB, les plus élevées au monde!
Le miracle n’aura pas lieu en Tunisie
L’exemple le plus frappant de la spécialité tunisienne du faux débat, la feuille de route présentée par l’UGTT pour une sortie de la crise dit-elle. D’abord présentée à qui? Le Président de la République ayant refusé clairement ce type de démarche. Ce plan rappelle les pseudos programmes de l’extrême gauche dans les années soixante dix! Le principe : ôtes toi que je m’y mette! Ce n’est pas susciter un dialogue qu’on cherche, mais provoquer le refus et accuser l’adversaire de refus de dialogue. Et puis il faut être au moins deux parties sinon plusieurs. Or la commission créée est constituée d’une seule partie, l’ex extrême gauche dont certains membres se sont convertis en « société civile ». On s’attendait à mieux de la part de la centrale syndicale. Ce qui prouve qu’elle aussi vit une crise très profonde de manque de compétences.
Il n’y a pas mieux pour susciter un faux débat que de faux débatteurs. Ce que l’UGTT aurait dû créer, c’est d’abord une commission de négociateurs sans étiquette qui peut dialoguer avec tous les partenaires susceptibles de participer. L’UGTT a raté une chance de se positionner avec un tel pseudo-projet! Mais il semble qu’elle n’a plus le savoir-faire d’antan! Ce qui prélude d’une crise profonde. L’UGTT doit revenir à son rôle défini par ses fondateurs : une centrale syndicale et c’est tout!
Les deux autres parties qui devraient, en tant que partis politiques, être concernées par un éventuel débat (et non un dialogue) sont les islamistes et leurs alliés du Front de salut; ainsi que les destouriens du PDL. Ils nient toute légitimité au pouvoir politique actuel tous niveaux confondus et ne cherchent donc pas le débat. Sur quoi tablent-t-ils? A l’évidence, ils ne tablent que sur un miracle! Mais le temps n’est plus à ce genre de superstition en Tunisie!