Alors que le torchon brûle entre le ministère de l’Education et le syndicat des enseignants, d’autres parties prenantes se félicitent discrètement de l’évolution de cette affaire. Les conséquences seront lourdes, non seulement pour l’industrie de l’éducation, mais surtout pour la puissance syndicale.
La décision de geler les salaires de près de 17 mille enseignants est une première en Tunisie. Le gouvernement est désormais clair : il ne cédera plus à la pression. Un message que les syndicats des autres secteurs ont toute la saison estivale pour assimiler.
Stratégie payante
La crise a débuté dès la rentrée précédente, mais rares sont ceux qui pensaient qu’elle continuera jusqu’à aujourd’hui. Elle a concerné tous les niveaux, de la première année de base jusqu’à la classe terminale. Aucun élève n’a vu son bulletin de note parvenir à ses parents durant plus de huit mois.
Le Ministère de l’Education s’est montré plus que patient. Stratégiquement, c’est tout le gouvernement qui a marqué des points face à un adversaire, au sens politique, qui lui a imposé sa loi tout au long de la dernière décennie.
Mais en réalité, ce qui a fait la différence et galvanisé la position de l’exécutif n’est autre que la conclusion d’un accord avec le syndicat de l’enseignement secondaire. Ce dernier a bien compris que c’était inutile de continuer et a accepté un accord que plusieurs ont refusé. Les moyens financiers de l’Etat ne permettent pas d’obtenir plus et les familles tunisiennes n’admettront jamais que le baccalauréat soit perturbé.
Ainsi, les enseignants du primaire se sont retrouvés seuls. Et pour le ministère, se plier à leurs demandes signifie concrètement que l’accord avec le syndicat de l’enseignement secondaire deviendra immédiatement caduc. Sa crédibilité était mise en jeu. C’est donc une proposition à prendre ou à laisser.
Choix limités
Maintenant, c’est à la centrale syndicale de dire son mot. A-t-elle vraiment une marge de manœuvre significative? Théoriquement oui, mais en pratique c’est loin d’être simple.
D’une part, elle est dans l’obligation de défendre ses adhérents qui réclament divers droits. D’autre part, elle est dans l’embarras vis-à-vis des Tunisiens qui en ont assez des grèves. Les parents n’apprécient guère ce qui est en train de se passer et la majorité des Tunisiens appuient la décision du ministère. Il y a le risque qu’une décision en faveur des enseignants ne constitue le point de non-retour dans l’appréciation de l’UGTT par les Tunisiens d’une façon générale. Ce sont plus de 1,2 million d’élèves qui sont touchés par cette histoire, donc la majorité absolue des familles.
Si la centrale syndicale recommande l’acceptation de l’accord, c’est certainement un grand nombre d’instituteurs qui vont refuser cela. Ils se sentiront trahis, surtout après que le salaire de juillet a été gelé. Si elle les appuie et menace la rentrée scolaire 2023-24, c’est encore plus grave. Les parents, qui souffrent déjà pour trouver les moyens de garder leurs enfants l’été, ne pourront jamais sortir de l’auberge dès la rentrée.
Les vrais gagnants
En réalité, deux parties prenantes profitent de cette crise.
La première n’est autre que l’exécutif. Dorénavant, tous les syndicats vont sérieusement tenir compte du fait que le gel des salaires n’est plus une menace ou une carte de pression, mais un acte concret. Par ailleurs, auprès de l’opinion publique, il y a le sentiment général qu’enfin un gouvernement et un président de République sont capables de dire non à l’UGTT. Politiquement, c’est une victoire à mettre à l’actif de Carthage et de La Kasbah.
La seconde est l’industrie privée de l’enseignement. Certainement, les écoles privées prient jour et nuit pour que la centrale syndicale creuse le différend. Les familles qui hésitent encore vont finir par faire le choix : s’orienter vers des établissements ou la notion de grève n’existe pas. En fin de compte, est-ce que l’enseignement public est gratuit avec tous ces cours particuliers qui débutent dès le premier jour de la rentrée?
Nous ne jugeons pas les demandes des enseignants. Certes, certaines sont légitimes. Toutefois, il faut savoir mener les négociations. Ce qui se passe actuellement va même à l’encontre de l’intérêt des instituteurs. Si les écoles se vident, de plus en plus d’entre eux seront obligés de donner des cours dans deux, voire trois établissements pour compléter leur emploi.
Les rapprochements familiaux seront plus différents et il n’y aura plus de recrutements. C’est une équation compliquée à résoudre, et il faut maintenant limiter les dégâts.