A qui incombe la responsabilité des coupures récurrentes d’eau potable et d’électricité dans certaines régions de la Tunisie et même à Sfax en cette période de canicule? Le président de la République y trouve une suspecte « concomitance » avec la pénurie des matières de base. Un peu court comme explication de relation de cause à effet.
Le leitmotiv de la théorie du complot et de la conspiration est un thème récurrent dans le corpus lexical du discours présidentiel. De là à répéter ad nauseam et en toute occasion ce discours et surtout à en faire l’origine de tous les maux dont souffre notre pays, le raisonnement semble montrer le bout de ses limites.
Des coupures « suspectes »
Une illustration de ce schéma mental? En recevant au début de la semaine au palais de Carthage Hichem Anane et Mosbah Helali, respectivement PDG de la STEG et de la SONEDE, le chef de l’Etat leur amputa la responsabilité des coupures continues d’eau potable et d’électricité dans certaines régions « bien déterminées » et pas d’autres et « qui se poursuivent pendant des jours voire des semaines ». Une allusion à peine voilée aux manifestations de Redayef?
Or, insiste le président de la République, Kaïs Saïed, ces coupures deviennent « suspectes » quand elles sont expliquées par des opérations d’entretien de routine. Pourquoi choisir d’effectuer ces opérations censées être programmées d’avance en pleine canicule et pendant la saison estivale? Ainsi, s’est-il interrogé à juste titre.
Notons à ce propos que des incessantes coupures d’eau et d’électricité furent observées dans plusieurs villes, y compris la capitale du sud, Sfax. Ce qui provoqua l’ire des citoyens; alors que la région est confrontée à une période de grosses chaleurs.
Fait troublant, soulève l’hôte du palais de Carthage, ces coupures qui mettent les nerfs des citoyens privés d’eau et d’électricité à fleur de peau, sont étrangement « concomitantes » avec l’absence de certains produits de première nécessité, à l’instar du pain, du sucre ou encore des médicaments. Laissant ainsi entendre qu’il y a un complot derrière les coupures dans ces deux secteurs vitaux. Et ce, dans le dessein malveillant de pourrir la vie des citoyens afin de les inciter à la révolte et l’insurrection contre l’Etat.
Autrement dit, il y aurait un agent de la STEG qui appuierait sur un bouton pour couper l’électricité et un autre de la SONEDE qui fermerait les vannes rien que pour pourrir la vie aux pauvres gens en cette période de canicule? Y a-t-il une part de vérité dans cette thèse conspirationniste?
Mutisme
Admettons qu’il est du rôle du président de la République de remonter les bretelles des PDG à la tête d’entreprises ayant le monopole de distribution de l’électricité et de l’eau pour laxisme et mauvaise gestion. Curieusement en l’absence de leur ministre de tutelle.
Soit, mais ces pauvres responsables, malmenés publiquement, traités comme des écoliers fautifs, ont-ils eu l’occasion d’expliquer les causes réelles des carences et des manquements qui leur sont reprochés, même de les exprimer à demi-mot? En tout cas pas devant les caméras. Seule la parole présidentielle prime, pourtant nous avons besoin d’entendre un autre son de cloche.
Les vérités qui dérangent
A titre d’exemple, le PDG de la SONEDE a-t-il eu l’opportunité et surtout le courage de révéler au président que les difficultés financières de son département l’empêchent d’effectuer les travaux nécessaires d’entretien et de réparation des conduites d’eau et des pompes vétustes dont certaines remontent à plus d’une décennie?
A-t-il rappelé au Président le facteur climatique? A savoir qu’en 2023, la Tunisie a connu pour la quatrième année consécutive une exceptionnelle année de sécheresse ayant pour conséquences la baisse notable de 42 % des réserves de barrages qui souffrent également de manque de nettoyage.
Pour rappel, ce phénomène naturel cyclique et récurrent a contraint le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche à annoncer une batterie de décisions. Telles que l’interdiction d’utiliser de l’eau potable distribuée par la SONEDE pour l’agriculture, l’irrigation de zones vertes, le nettoyage des rues et des endroits publics, ainsi que le lavage des véhicules.
Pour ce qui est des coupures de l’électricité, reconnaissons qu’à l’instar des pays voisins, ce casse-tête chinois n’est pas une exclusivité tunisienne. Avec des pics de chaleur avoisinants les 45 °C, les climatiseurs qui tournent à plein régime, il est prévisible que les capacités de la STEG atteignent leurs limites.
Morale de l’histoire : le recours aux théories de complot et de conspiration n’est-il pas un moyen de détourner l’attention des problèmes structurels réels auxquels ces deux entreprises stratégiques sont confrontées depuis belle lurette? Alors, cessons de voiler la face du soleil à l’aide d’un tamis…