Le mémorandum d’entente signé conjointement dimanche par le trio européen et les autorités tunisiennes ne fait pas l’unanimité chez nous, loin s’en faut. Pour certains, l’Europe impose à notre pays un « diktat » insoutenable : à nous de sous-traiter le sale boulot, à savoir le verrouillage des flux migratoires à partir des côtes tunisiennes. Et ce, en contre partie d’une assistance financière à notre économie agonisante. Du chantage à peine voilé.
S’agit-il d’un « partenariat stratégique global » entre les deux rives de la Méditerranée assorti d’un soutien financier s’élevant à plus d’un milliard d’euros et centré sur la lutte contre l’immigration irrégulière en échange d’un soutien conjoncturel à la Tunisie? Dans cette perspective, comment expliquer que le mémorandum d’entente signé en grandes pompes entre le triptyque européen- composé d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne et de Giorgia Meloni et Mark Rutte, respectivement Premiers ministres d’Italie et des Pays-Bas- et les autorités tunisiennes suscite tant de malaise, de doutes et de suspicions chez une bonne partie de l’opinion tunisienne.
Alors que les retombées financières sont évidentes pour une économie tunisienne au bord de l’asphyxie. Avec à la clé un service de dette qu’il faut bien rembourser, une inflation galopante, un manque de liquidités. Et ce, dans une conjoncture où la population fait face à une pénurie des produits de base achetés et importés par l’Etat à l’instar de la farine, sucre, café, huile végétale et j’en passe. Et si on ajoutait à ces désagréments quotidiens les coupures récurrentes de l’eau potable et de l’électricité, en plus d’interminables queues devant les boulangeries sous une chaleur caniculaire ; rien d’étonnant que le Tunisien pète un plomb. Alors pourquoi tant de méfiance devant cette manne qui nous tombe du ciel?
S’acheter une bonne conscience
C’est que l’on sent confusément que l’aide que fait miroiter l’Union européenne– sous forme d’une assistance macro-financière pouvant atteindre 900 millions d’euros (conditionnée, cela va de soi, à l’octroi d’un nouveau crédit de 1,9 milliards par le FMI), une aide budgétaire immédiate de 150 millions d’euros en 2023; ainsi qu’une enveloppe de 105 millions d’euros pour le contrôle des frontières, la recherche et le sauvetage de migrants- n’est qu’une manière pour l’Europe de s’acheter une bonne conscience.
Quitte à charger la partie tunisienne de faire le sale boulot : refouler par tous les moyens, même les plus contestables, et parfois au mépris de la dignité humaine, ces milliers de migrants venus de l’Afrique subsaharienne braver la mort avec femmes et enfants à bord de leurs embarcations de fortune à la recherche d’une vie meilleure, pour échouer sur les plages inhospitalières de Lampedusa. Rien qu’au cours des six premiers mois de l’année en cours, 96 432 migrants ont rejoint l’UE par la mer, dont 11 600 enfants.
N’est-il pas utile de rappeler l’attitude douteuse des autorités tunisiennes, suite aux affrontements ayant coûté la vie à un Tunisien le 3 juillet en cours? En effet, des centaines de migrants d’Afrique subsaharienne, dont des femmes et des enfants, auraient été chassés de Sfax, principal point de départ en Tunisie pour l’immigration clandestine. Puis, ils auraient été conduits, selon des ONG, dans une zone tampon frontalière avec la Libye. Par plus de 45 degrés, sans l’ombre d’un arbre, sans nourriture et sans eau.
De grâce, que l’on cesse de nous rabattre les oreilles avec la prétendue solidarité avec nos « frères africains » !
« Soumission au chantage européen »
« La Tunisie a signé un mémorandum d’entente intitulé « Soumission au chantage européen » ». Ainsi réagissait le porte-parole du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES) Romdhane Ben Amor. A ses yeux, ce mémorandum permet à la Tunisie « de jouer le rôle de gardien et de geôlier. De devenir une forteresse pour contenir ceux qui ne sont pas désirés selon les politiques européennes en matière d’immigration (une poubelle des politiques migratoires européennes). Et de servir uniquement les intérêts économiques européens, en consacrant l’absence du principe d’égalité dans le droit à la mobilité », faisait-il observer via un statut publié dimanche 16 juillet 2023.
Et d’assigner que « tous les migrants tunisiens en situation irrégulière dans l’espace Schengen seront virés. Les rêves de milliers de nos jeunes seront brisés par un mémorandum d’entente qui adopte la « réadmission », c’est-à-dire l’expulsion collective basée sur l’identité, et consacre les inégalités entre les catégories et les classes en matière de droit à la mobilité ».
Un deal à la Erdogan?
Le mémorandum signé par le trio européen et les autorités tunisiennes ce dimanche serait-il semblable au « deal à la Erdogan » ? Notre confrère Benoît Delmas, le correspondant du quotidien parisien Le Point à Tunis, trace un étrange parallélisme. Et ce, en rappelant qu’au beau milieu de la guerre civile syrienne et de ses millions de réfugiés se jetant sur les routes de la migration informelle, l’Union européenne et Ankara signaient un accord le 18 mars 2016.
« Pour six milliards d’euros, a-t-il ajouté, la Turquie s’engageait à stopper les arrivées migratoires en Grèce ainsi qu’à reprendre les clandestins et les déboutés du droit d’asile. L’accord fut appliqué « manu militari, les 200 000 migrants comptés entre décembre 2015 et mars 2016 fondirent comme neige au soleil pour n’être plus que 3 500 l’année suivante, à période comparable. L’accord a été renoué en 2022 pour trois milliards d’euros. Désormais, la Turquie compte près de quatre millions de réfugiés sur son sol. Et Erdogan peut utiliser, selon ses impérieuses nécessités, l’arme migratoire ».
A méditer.