Le premier sommet russo-africain s’est tenu en octobre 2019 à Sotchi. Le deuxième est en cours de préparation et se tiendra les 27 et 28 juillet à Saint-Pétersbourg. Une cinquantaine de délégations africaines se rendront à ce forum, encouragées qu’elles sont par les résultats positifs et concrets engendrés par le premier sommet de Sotchi et de la Conférence de Moscou du 19-20 mars 2023 sur le thème « Russie-Afrique dans un monde multipolaire ».
Une invitation au forum du 27 et 28 juillet a été envoyée au président Kaïs Saïed. Mais jusqu’à la rédaction de ces lignes, on ne sait pas si le président conduira lui-même la délégation tunisienne ou se fera représenter par la Première ministre ou l’un de ses collaborateurs à Saint-Pétersbourg.
Les relations russo-tunisiennes ne datent pas d’hier. Si l’on a à choisir un mot pour les qualifier, ‘’sérénité’’ est sans doute le plus approprié. Y compris du temps de l’Union soviétique. A l’époque, l’ancrage à l’Ouest de la politique étrangère tunisienne, n’avait pas empêché l’établissement de bonnes relations politiques, économiques et culturelles entre Tunis et Moscou. Il n’avait pas empêché l’ouverture du Centre culturel soviétique à l’Avenue de la Liberté où les étudiants tunisiens pouvaient emprunter en toute liberté ‘’l’Etat et la révolution’’ de Vladimir Lénine, et ’’Le Manifeste du Parti communiste’’ de Karl Marx et Friedrich Engels.
Cet ancrage à l’Ouest n’a pas empêché une coopération avec l’Union soviétique qui nous avait aidés alors dans la construction de quelques barrages, ou encore de l’Ecole Nationale des Ingénieurs de Tunis, l’un des fleurons de l’enseignement supérieur dans notre pays.
Autres temps, autres mœurs, aujourd’hui cette sérénité continue de distinguer les relations tuniso-russes. Avec un développement continu du flux des touristes russes, friands des plages tunisiennes, et du flux des échanges commerciaux.
Sur un plan beaucoup plus large, la même sérénité semble distinguer les relations de la Russie avec le continent africain dans son ensemble. Sans remonter loin dans l’histoire quand l’Union soviétique aidait les pays africains dans leurs combats contre le colonialisme et le racisme, il est clair pour tous aujourd’hui que la coopération multiforme entre la Russie et l’Afrique atteint sa vitesse de croisière.
On en veut pour preuves la multiplication sans précédent des visites des dirigeants africains à Moscou. Mais aussi l’accueil chaleureux dont bénéficient les responsables russes dans les capitales africaines. Ainsi que la décision du président Poutine d’annuler 20 milliards de dollars de dettes africaines et d’offrir le blé gratuitement aux pays africains les plus pauvres. Sans parler de l’aide médicale massive pendant la pandémie de Covid-19.
Il va sans dire que la coopération continue et sereine entre l’Afrique et la Russie est loin d’être du goût de Washington, Londres ou encore Paris. Dirigeants américains, britanniques et français ne cachent pas leur amertume, pour ne pas dire leur fureur, face à de tels développements géostratégiques. Ils acceptent mal le fait que ce qui fut pendant très longtemps leur chasse gardée, leur tourne le dos et leur préfère d’autres puissances, comme la Russie et la Chine. Celles-ci, comme tout le monde sait, non seulement offrent des partenariats gagnant-gagnant, mais ne s’immiscent nullement dans les affaires intérieures des pays du Continent.
Il y a une sorte de conscience largement partagée à la fois par les élites et les peuples d’Afrique que, hier, l’Union soviétique avait largement aidé l’Afrique à se libérer du colonialisme, et, aujourd’hui, la Russie est en train d’aider à l’élimination des abus et au redressement des injustices imposés aux pays africains par le néocolonialisme.
C’est cette conscience, basée sur des données concrètes, qui explique le comportement et l’attitude de l’écrasante majorité des pays africains quant à la position à prendre vis-à-vis des grandes questions de l’actualité internationale brûlante, tellesque la guerre d’Ukraine, les sanctions contre la Russie ou encore le choix entre la multipolarité et l’unipolarité du monde.
Trop de pressions, notamment de la part de Washington, ont été exercées sur les pays africains pour les amener à appliquer les sanctions contre la Russie et à prendre leur distance vis-à-vis de Moscou. En vain. Ni les menaces de la représentante américaine à l’ONU, Linda Thomas-Greenfield, ni le voyage de Blinken en Afrique du Sud en juillet 2022, et encore moins la rencontre deux mois plus tard de Joseph Biden avec son homologue sud-africain, Cyril Ramaphosa, n’ont eu le moindre effet escompté.
Les pays africains continuent plutôt à prendre leur distance avec ceux là-même qui les pressent de s’éloigner de Moscou et de se rapprocher de Washington et de Bruxelles. Sur cette question, le président sud-africain, dans une intervention devant le parlement de son pays, a résumé l’état d’esprit général en Afrique : « La guerre d’Ukraine aurait pu être évitée si l’OTAN avait tenu compte des avertissements des personnalités occidentales au fil des ans selon lesquels son expansion vers l’Est conduirait à une grande instabilité dans la région. »
Mais malgré tout, on continue à Washington, à Londres, à Paris et à Bruxelles de s’étonner de la défiance de l’Afrique. Une défiance qui sera amplifiée par la présence massive des délégations africaines attendues à Saint-Pétersbourg les 27 et 28 juillet.