Hédi Noamane était un ami. On se promenait, durant l’été, au bord de la plage de Monastir ou sur l’avenue reliant la plage à Bab Brikcha, près du marché aux poissons.
CV du poète : Le poète Hédi Noamane est né à Monastir le 13 juillet 1927. Il a eu une formation zeitounienne, qui lui a permis d’acquérir ses titres : Al-Ahlia, puis At-Tahcil, complétés par une licence en droit.
Devenu professeur d’enseignement secondaire, il exerça dans le collège zeitounien, puis dans les lycées de Mateur, du Kef et de Monastir. Il s’installa dans sa ville natale puis à Tunis, jusqu’à sa retraite, en 1987, suite à sa maladie.
Il a publié trois recueils :
1 – Le chant inquiet, en 1961. Il a vendu ses oliviers pour payer cette édition. La préface de cette œuvre a été écrite par le professeur Ameur Ghédira, son collègue, qui enseignait à l’université de Lyon.
2 – Le compte des années, en 1989.
3 – La noblesse du poète, en 1993.
Le critique Mohamed Bédoui a présenté son CV et analysé son œuvre dans son livre « Les innovateurs dans le gouvernorat de Monastir » (Tunis, Dar al-Maarif, 2001, pp. 398-400), puis dans son livre « Hédi Nomane, poète de la souffrance et de l’espoir » (Maison Bédoui, 1964).
Un sentiment d’insatisfaction marque son œuvre : il dit, dans son poème lors de la réception donnée en l’honneur de la cantatrice Oum Kalthoum, en 1968 :
« Fin de la charité, fin de l’oubli
Je n’ai guère pu expliquer ce cas
Je me suis abandonné aux jours
Qui les jettent dans sa mer agitée ».
Il meurt le 31 juillet 1993. La Tunisie a célébré cette année le trentième anniversaire de sa mort.
L’attachement à sa ville natale
Hédi Noamane s’entretenait avec ses amis au café des remparts, à Bab Brikcha où il leur lisait ses poèmes.
D’autre part, il restait à la plage, chantant la mer.
Citons ces vers du poème « La plage délaissée » :
« Oh plage, ce chant agréable dans mon réveil et mes sommeils
La mer est une révolte que je crains et dont elle craint mes sentiments ».
La fidélité à la poésie classique
Poète, Hédi Noamane resta fidèle à la métrique classique arabe, théorisée au VIIIe siècle par le philologue Al-Khalil Ibn Ahmad, adoptant la rime, qui est un élément important de la poésie arabe classique. Fait surprenant, il ne participa pas aux innovations actuelles, aux mutations qui ont délaissé la métrique traditionnelle pour adopter le vers dit “libre“ ou le “poème en prose“.
Exemple de ces mutations, le parcours personnel d’Adonis, de 1949 à 1993. Ce poète est passé du vers classique à deux hémistiches et rime unique au vers contenant un nombre variable de pieds ou des pieds dissemblables, voire au calligramme et à l’éclatement spatial de la phrase sur la page.
Il a fallu parcourir toutes ces étapes avant d’arriver à une métrique autre, susceptible d’entrer en harmonie avec la pensée poétique nouvelle, expression d’une société en perpétuelle mutation, sans pour autant s’émanciper complètement des principes de la métrique « classique » (pieds et modèles de vers).
Noamane et la problématique de l’inquiétude
Cette notion est généralement définie par son opposé : la quiétude, le repos, la tranquillité. Les Anglais la traduisent par “uneasiness“, c’est-à-dire l’état d’un homme qui n’est pas à son aise, le manque d’aise et de tranquillité dans l’âme[1]. C’est le signe humain d’une “nature qui travaille toujours à se mettre mieux à son aise[2]“.
Pour Pierre Janet, l’inquiétude est « le sentiment de perte de contrôle ». C’est une variante de l’insatisfaction[3]. L’inquiétude, ici, est un stimulant positif. C’est que, pour Augustin comme pour Pascal, l’homme est un être de désir, l’homme est désir. Il cherche son lieu, sa place, son rôle dans le grand théâtre du monde, le drame de l’existence dans lequel il a débarqué sans préparation. Son « lieu », à la fois lieu natal et destination finale.
« L’inquiétude peut être quelque chose de très positif, de l’ordre de l’attention à autrui. L’inquiétude nous met en mouvement. Être inquiet, c’est ne pas être tranquille, en repos. Cela signe une mobilité mentale. Étant inquiet, on trouve des choses nouvelles. Il y a dans l’inquiétude un dynamisme créatif qui met en marche, en recherche » (Thierry-Marie Courau, “Comment vivre l’inquiétude ?“ – La Croix, 14/9/2015).
Mohamed Ameur Ghédira estime que l’inquiétude de Noamane ne concerne pas celle de la diversité des chants, des expressions ou de la métrique poétique, mais elle est plutôt spirituelle, sociale, telles que présentées dans le titre du premier recueil ou de certains poèmes, tel celui de l’inquiétude du poète :
« Je ne cesse de me questionner sur moi-même et sur un cœur perdu dans le voyage
S’agit-il de la sagesse vague du destin ou plutôt l’atteinte des hommes par le quotidien ».
Puis le chant du poète devient triste :
« Je chante mais à quoi sert mon chant, dit-il. Mes chants traduisent-ils mes condoléances ?
Tu as chanté les illusions, au poète de l’amour, mais l’écho des rêves fut le silence et l’abime » (premier recueil, p. 20).
En tout cas, l’inquiétude de Hédi Noamane fut plutôt un appel à la création, à l’éveil, à la confrontation, dans la fraternité.
[1] – Locke, Essai philosophique, II, p. 267.
[2] – Leibniz, Nouveaux Essais sur l’entendement humain, Paris, Flammarion, 1990, t. II, 21, § 36.
[3] – Voir Isabelle Saillo, L’inquiétude et ses variables intermédiaires : Pierre Janet ou le problème du puits sans fond, in Dogma,