Dès son installation au palais de La Kasbah, le chef du gouvernement fraîchement nommé, Ahmed Hachani, ne connaîtra pas de délai de grâce. Il sera appelé à traiter à la fois toute une série de dossiers, tous aussi urgents les uns que les autres.
Que savons-nous au juste de l’homme que le président de la République, Kaïs Saïed, aura tiré de son chapeau ce mardi 1er août 2023, quelques minutes avant que sonne minuit ?
Sera-t-il l’homme de la situation alors même que, lors d’une allocution au cours de la cérémonie d’investiture du nouveau chef du gouvernement au palais de La Kasbah, le patron de Carthage a bien précisé que les priorités de la Tunisie sont principalement d’ordre « économique et social » ?
Dans cette perspective, pourquoi avoir choisi, au moment précis où la Tunisie, tel un bateau ivre, est secouée par les quarantièmes rugissants, un commis de l’Etat bien que le pays regorge de compétences économiques et financières de niveau international ? Est-ce pour en faire, comme avancent les mauvaises langues, un pâle clone de Mme Bouden ? En clair, un « collaborateur », le Premier des ministres. Car dans la conception intime du président, le pouvoir ne se partage pas : il se délègue par petites parcelles. Sans plus.
Un CV ordinaire
Le peu que l’on sait sur le nouveau chef du gouvernement, Ahmed Hachani, son CV n’étant pas à ce jour officiellement dévoilé, est qu’il aura obtenu son baccalauréat au lycée Alaoui avant d’intégrer la Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis où il obtint son diplôme en droit. Il décroche sa maîtrise en droit public en 1983 en étant major de promotion.
Le président de la République ayant pour sa part obtenu son DEA en droit international public auprès de la même faculté de droit en 1985, les deux hommes jeunes étudiants se sont-ils fréquentés durant leurs années à la fac ? Nous savons qu’ils étaient camarades de promotion. Un élément déterminant dans le choix présidentiel ?
Enfin, le successeur de Mme Bouden intégra la Banque centrale de Tunisie en sa qualité de juriste. Il fut promu en 2011 au poste de directeur général des ressources humaines. C’est après sa retraite en 2018 qu’il fut brusquement tiré de l’ombre pour présider aux destinées de La Kasbah.
Nous savons également que le nouveau promu est le fils du commandant Salah Hachani, anciennement commandant de la garnison de Gafsa ; condamné à mort et exécuté pour son implication dans un coup d’Etat manqué contre le président Habib Bourguiba en 1962. En garde-t-il une dent contre le Combattant suprême, d’autant plus qu’il tient en estime les monarchies constitutionnelles, étant le descendant de la famille husseinite ?
Mais, trêve du passé. Ce qui compte aux yeux de ses compatriotes, c’est sa capacité à sortir la Tunisie de la gravissime crise socioéconomique dans laquelle elle est engluée. Verra-t-on le bout du tunnel avec ce pur produit de l’administration tunisienne, politiquement vierge ? Et si, a contrario, c’était plutôt un avantage ?
Aura-t-il les coudées franches ?
Mais, le nouveau promu à La Kasbah aura-t-il les coudées franches pour voler de ses propres ailes loin de l’ombre pesante du sourcilleux locataire du palais de Carthage, qui entend assumer toutes ses prérogatives ?
Notons tout d’abord que le nouveau chef du gouvernement n’a pas été chargé de former une nouvelle équipe gouvernementale. Tout au plus, lors de son entrevue avec le chef de l’Etat, jeudi 3 août 2023, à Carthage, il lui a été demandé « d’avancer dans le nettoyage de l’administration de ceux qui l’ont infiltrée. Ceci est d’autant plus urgent qu’ils représentent désormais un handicap et un obstacle à la réalisation de tout projet économique, social ou autre, alors que de nombreux projets sont prêts et les fonds qui leur sont alloués sont disponibles, et que l’administration compte de nombreuses compétences mais que beaucoup étaient exclus parce qu’elles refusaient d’être uniquement au service du pays et de l’Etat ».
Alors, M. Hachani procédera-t-il dans les jours ou les semaines qui viennent à un remaniement ministériel ? Qui gardera-t-il, surtout de qui veut-il s’en débarrasser ?
Selon des rumeurs qui bruissent du côté de La Kasbah, Samir Saïed, l’homme fort du gouvernement Bouden et ministre de l’Economie et de la Planification, serait dans le collimateur du nouveau chef du gouvernement. D’abord, pour ne pas lui faire de l’ombre ; ensuite pour ses positions jugées «peu compatibles » avec celles de Kaïs Saïed. Notamment dans le dossier du prêt du FMI.
Seraient également sur des sièges éjectables la ministre des Finances, Sihem Nemsia Boughdiri, trop impliquée dans les négociations avec le FMI pour le fameux prêt de 1,9 milliard de dollars ; ainsi que le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Marouane El Abassi, jugé trop sourcilleux sur l’indépendance de cette institution financière. Au moment même où le président s’insurge contre les « injonctions » de l’institution de Bretton Woods, estimant que la Tunisie doit sortir du système néolibéral et de la domination occidentale.
Toujours selon ces mêmes rumeurs, les « proches » du président : Malek Zahi, ministre des Affaires sociales ; Kamel Feki, ministre de l’Intérieur ; Nabil Ammar, ministre des Affaires étrangères, et Leïla Jaffel, ministre de la Justice, sembleraient être à l’abri. Pour le moment.
Patates chaudes
En attendant, fraîchement nommé à la tête du gouvernement, Ahmed Hachani ne connaîtra pas un délai de grâce avec les patates chaudes déléguées par le gouvernement Bouden : absence de vision économique, croissance grippée, inflation insoutenable et tensions sociales en vue avec en prime la pénurie de matières de base dont les queues interminables devant les boulangeries sont le criard emblème.
D’ailleurs, la crise du pain, mal gérée par l’ancienne équipe gouvernementale, n’est-elle pas l’une des raisons ayant précipité le départ de Mme Bouden ? Par la petite porte ?