Pénurie, inflation, crise économique, canicule et feux de forêt : la situation laisse à désirer et les mauvaises nouvelles s’accumulent à n’en plus finir. Dans ces conditions, un peu d’humour, même noir, ça fait du bien et ça met du baume à nos âmes en peine. Et c’est vrai qu’on est bien servi. En termes de tiroir à blagues, on ne manquait pas de vannes. Entre les comploteurs et les billions de dinars, on avait de quoi égayer nos journées. C’est « vache », mais ça ne mange pas de pain.
Sauf que voilà, blague à part, le cœur n’y est plus. La blague de la tolérance ne passe plus. La photo de la jeune femme et sa petite fille retrouvées mortes de soif dans le désert à la frontière entre la Libye et la Tunisie ne passe pas. Imaginons, l’espace d’une seconde, voir sa propre fille mourir devant soi, alors que vous ne pouvez rien faire. Essayons de sentir la douleur d’une mère, la détresse d’une petite fille qui, en dernier désespoir, tendait la main à sa maman, son dernier rempart, mais qui ne pouvait rien lui donner. De quoi pleurer à chaudes larmes.
Deux êtres humains, elles s’appelaient Fati et Marie, à qui nous devons demander pardon. Pardon, car personne ne vous a tendu la main alors que vous parcouriez la dernière étendue de désert, la bouche desséchée par la soif et le sable. Le seul confort était celui d’un buisson qui vous offrait une tranche d’ombre. La nature a été plus clémente que l’homme. Quelle honte ! Honte de moi, de mes semblables humains.
Je demande pardon et j’accuse. J’accuse l’humanité qui se déshumanise. J’accuse les gouvernements qui laissent faire et ces nationalistes qui les soutiennent. J’accuse le monde entier. Un monde où on s’émeut jusqu’aux larmes après la disparition en mer de cinq explorateurs à la recherche du Titanic, alors même que des centaines de vies se perdent en Méditerranée dans la quasi-indifférence. Une distorsion « obscène ».
Le théâtre des nations propose actuellement le spectacle de la migration clandestine comme la pièce du siècle. Une pièce à la Hamlet, qui a mis à nu les ressorts de ce qu’il est convenu d’appeler le sort commun de l’humanité et la solidarité qui alimente les discours de circonstance. On nous explique même que l’humanité désargentée devra recevoir des miettes pour lutter contre ce « fléau », dans l’exacte mesure où les déshérités risquent de contaminer les « généreux donateurs ». Alors, qu’importe si plus de 900 migrants sont morts noyés au large des côtes italiennes sur les sept derniers mois.
Dans l’intervalle, et pour assurer le spectacle, il y a ceux qui sont constamment sur la brèche pour sermonner les comploteurs de toutes sortes, ceux-là mêmes qui sont accusés de ne rien entendre à ce que « le peuple veut ». Un refrain en vogue pour les monologues qui tiennent lieu de projections oiseuses vers l’avenir réputé indûment meilleur. Le théâtre national lève frénétiquement le rideau sur des acteurs tenant des rôles de composition, dont le seul fil conducteur est la juxtaposition de discours tenant de l’absurde. Et on va encore dire que le théâtre, ce n’est pas du cinéma.
Pour le reste, on peut toujours dire que ces images de migrants jetés dans le désert sont fabriquées. Mieux encore, on pourra dire que ces fossoyeurs d’images seraient surveillés par l’image et le son. On nous dit que le ridicule ne tue pas. Blague à part, j’y crois pas.
Cet article est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 875 du 2 au 30 août 2023