Le présent papier analyse les principales composantes du budget de l’Etat pour la période 2011-2021 et compare les différents ratios, qui s’en dégagent, avec ceux de la période 2000-2010 ainsi que celles d’un certain nombre de pays de l’OCDE.
La crise sanitaire qui a ébranlé fortement en 2020 et en 2021 l’économie tunisienne et altéré profondément ses fondamentaux, à l’instar de la majorité des pays de la communauté internationale, a encore accentué les fragilités et les pressions dont souffrent les finances publiques depuis le début de la seconde décennie des années 2000.
Tous les paramètres en sont sérieusement affectés avec notamment une amplification du déficit budgétaire, un recours accru aux emprunts extérieurs et intérieurs et un alourdissement notable de l’encours de la dette publique.
Le présent papier analyse les principales composantes du budget de l’Etat pour la période 2011-2021 et compare les différents ratios, qui s’en dégagent, avec ceux de la période 2000-2010 ainsi que celles d’un certain nombre de pays de l’OCDE, chaque fois où cela est possible, de façon à dégager quelques enseignements et orientations utiles au redressement des comptes de l’Etat.
1. Les dépenses budgétaires enregistrent une importante expansion
Les dépenses de l’Etat progressent au cours de la période 2011-2021 à un taux annuel moyen de 10,8 %, dépassant de plus de quatre points le taux de croissance du PIB aux prix courants pour la même période (6,4 %); contre une situation totalement inverse au cours de la période 2000-2010 (respectivement 6,1 % et 7,9 %).
L’accélération des dépenses budgétaires est imputable principalement, comme l’explicitent les développements suivants, à l’expansion des charges salariales ainsi que de celles au titre des subventions et des compensations. Le budget de capital de l’Etat augmente, en revanche, modérément durant les onze dernières années, avec un taux (4,9 % par an) en retrait d’un point et demi par rapport à celui du PIB aux prix courants (6,4 % par an).
Il est à signaler qu’un nouveau palier des dépenses budgétaires est atteint en 2020 et 2021 en relation notamment avec les importants engagements assumés pour faire face à la pandémie du coronavirus comme le montre le tableau ci-après:
1. Salaires et traitements du personnel de l’Etat
Forte expansion de l’effectif de l’administration
Le nombre total des fonctionnaires et ouvriers de l’Etat est évalué, en ne prenant pas en compte les collectivités locales, à près de 662 000 à fin 2021 contre 466 000 à fin 2010 :
De la sorte, le rythme annuel moyen de l’effectif du personnel de l’Etat hors collectivités locales s’établit à 3,2 % entre 2011 et 2021 sous-tendant :
- Une progression annuelle moyenne de 5 % de l’effectif au niveau des départements de l’intérieur et de la défense.
- Une augmentation annuelle moyenne de 2,5 % de l’effectif des départements de ressources humaines : éducation, enseignement supérieur, recherche scientifique, culture, jeunesse et sport, formation professionnelle et santé.
- Un effectif des autres départements ministériels augmentant de 2,8 % en moyenne par an.
Les efforts de maîtrise des recrutements déployés depuis 2017, s’ils paraissent amorcer une inflexion de la tendance haussière, ne parviennent pas à corriger le dérapage enregistré durant les années antérieures. Les autorités publiques ont dû autoriser de nouveaux recrutements pour faire face à des besoins pressants de sorte que l’effectif total du personnel de l’Etat s’est trouvé porté de 619 409 à fin 2016 à 661 703 à fin 2021.
Un audit de l’administration parait plus que jamais nécessaire afin d’engager un redéploiement du personnel de l’Etat sur des bases rationnelles et viables.
Cela dit, trois observations méritent d’être signalées :
(1) La loi d’amnistie générale du 19 février 2011 ne prévoit dans son article 2 que la réintégration des amnistiés dans leur emploi. Elle ne concernait, donc, que ceux qui ont perdu leurs emplois après les condamnations dont ils avaient fait l’objet. La loi du 22 juin 2012 portant dispositions dérogatoires pour le recrutement dans le secteur public étend, cependant, le recrutement direct à un membre de chaque famille des « martyrs de la révolution » et à tous les bénéficiaires de l’amnistie générale.
(2) L’effectif de l’administration civile (hors défense) augmente de quelque 140 mille sur onze ans contre une augmentation totale de la population occupée de 130 mille personnes seulement ; le total de la population occupée selon l’INS passant de 3 277 mille en 2010 à 3 407 mille en 2021.
(3) Le Maroc qui a une population active de près de 12 millions de personnes n’a que 568 000 fonctionnaires civils en 2020 en ne prenant pas en compte le personnel des collectivités locales, soit un ratio de 47 fonctionnaires pour 1000 actifs contre un ratio correspondant de 139 fonctionnaires civils pour 1000 actifs pour la Tunisie.
Renforcement de la part des salaires du personnel de l’Etat dans le PIB
L’augmentation de l’effectif des agents et ouvriers émargeant sur le budget de fonctionnement, combinée à la revalorisation des salaires et traitements servis par le budget de l’Etat et à l’avancement statutaire et aux promotions des fonctionnaires, se traduit par une progression de la masse salariale au cours de la période 2011-2021 de 10,4 % en moyenne par an, soit un taux dépassant de quatre points la croissance du PIB à prix courants (6,4 % par an).
De la sorte, la part des salaires de la fonction publique se trouve renforcée d’année en année. Leur part dans le PIB passe de 10,3 % en 2010 à 15,5 % en 2021. Leur part dans les recettes fiscales passe de 53,4 % en 2010 à 66,4 % en 2021.
Le dérapage des salaires avait coûté aux contribuables une facture de plus de 35 milliards de dinars pour la période 2011-2021, soit l’équivalent de 3,2 % du PIB et de 57 % du déficit budgétaire cumulé au cours de cette période :
En se référant aux statistiques relatives à la rémunération des administrations en 2019 publiées par « Panorama des statistiques de l’OCDE », l’on relève, comme le reflètent les données ci-après, que la part des salaires de l’administration tunisienne dans le PIB observée en 2019 n’est dépassée que par celles des Pays-Bas et du Danemark. Sachant que la pression fiscale de ces deux pays est respectivement 39,3 % et 46,6 % contre un taux de prélèvement obligatoire, intégrant l’impôt local et les cotisations sociales de 32 % environ pour la Tunisie.
Part des salaires de l’administration en pourcentage du PIB au cours de l’année 2019 :
2. Subventions et compensations budgétaires
Reprise de la tendance à la hausse des subventions et des compensations
Le montant annuel des subventions et des compensations budgétaires est fortement corollé aux prix d’importation des produits alimentaires de première nécessité (céréales, huiles végétales et sucres notamment), des hydrocarbures; ainsi qu’à l’évolution du taux de change du dinar par rapport au dollar américain, principale devise de règlement des matières premières.
Les dépenses annuelles, quoique évoluant en dents de scie, s’inscrivent dans une tendance haussière, avec des pics en 2013 sous l’effet de l’envolée des cours des hydrocarbures sur le marché international et, dans une certaine mesure, en 2021 en relation avec la forte reprise des prix des produits de base 2021, elle-même entretenue par la relance de la croissance après les mesures de confinement qui ont marqué l’année 2020.
Au total, les subventions et les compensations durant la période 2011- 2021 auraient coûté aux contribuables quelque 45 milliards de dinars et 4,2 % environ du PIB. Ce qui correspond à près des trois quarts du budget de capital de l’Etat de la Tunisie durant cette période.
Comparativement aux niveaux relatifs des subventions et des compensations accordées durant la période 2000-2010 (2 % du PIB), il y a un dérapage des dépenses budgétaires de 2.1 points de pourcentage du PIB en moyenne par an. Ce qui correspond à un montant cumulé de plus de 23 milliards de dinars.
3. Budget de capital de l’Etat
Une progression modérée du budget de capital de l’Etat
Le budget de capital de l’Etat a augmenté très modérément entre 2010 et 2019, de l’ordre de 3,5 % par an en nominal. Ce qui correspond à un taux inférieur à l’évolution de l’inflation (4,8 % en moyenne). Les crédits alloués dans le cadre des lois de finances tout au long de cette période n’ont été que partiellement réalisés. Une relance des dépenses du budget de capital est, cependant, réalisée en 2020 (+17 %) et en 2021 (+20 %). Le ratio budget de capital par rapport au PIB de 2021 (6,6 %) demeure toutefois en retrait de 0.2 point de pourcentage du PIB par rapport à celui atteint en 2010 (6,8 %)
Au total, le budget de capital cumulé pour la période 2011-2021 représente 5,9 % du PIB, soit un taux en retrait de 0.8 point par rapport à la moyenne de la période 2000- 2010 (6,7 %).
Un maintien du ratio moyen du budget de capital par rapport au PIB enregistré durant la période 2000-2010 aurait permis une réévaluation des crédits budgétaires alloués notamment à l’infrastructure de base et aux équipements collectifs tout au long des onze dernières années de 8,8 milliards de dinars. Montant qui aurait pu avoir un impact significatif sur le potentiel de développement du pays.
Source : FIKD