Cette troisième et dernière partie se penche sur l’équilibre budgétaire qui sous-tend d’importantes tensions.
L’accélération des dépenses à un rythme (10 % par an) dépassant d’un point l’augmentation des recettes propres (9 % par an) entraîne d’importantes répercussions aussi bien sur le solde primaire, le solde budgétaire que sur la dette publique durant la période 2011-2019.
Une épargne budgétaire négative pour la période 2011-2021
Le solde primaire du budget de l’Etat (différence entre les recettes propres et les dépenses hors service de la dette) était excédentaire en 2010 (+ 274 MDT). Il est devenu négatif à partir de 2011 avec une tendance à la hausse entre 2011 et 2017 et entre 2020 et 2021, après une relative détente en 2018 et 2019.
L’insuffisance cumulée des ressources propres (hors dons, privatisations et biens confisqués) par rapport aux dépenses hors service de la dette publique demeure toutefois importante. Elle ressort pour la période 2011-2021 à près de 36,4 milliards de dinars, ce qui correspond à 3,4 % du PIB.
1. Déficit budgétaire
Le déficit budgétaire s’accentue en relation avec la crise sanitaire mondiale
Le déficit budgétaire par rapport au PIB passe d’une moyenne de 2,3 % durant la période 2000- 2010 à 5,7 % durant la période 2011- 2021. Au cours de cette dernière période, la grave crise sanitaire qui a été vécue par la Tunisie, à l’instar de la communauté internationale, a entraîné un important rebondissement du déficit budgétaire en 2020 (9,4 %) et en partie en 2021 (7,5 %).
La même tendance est relevée au niveau des pays de l’Union Européenne comme le montre le tableau ci-après. Tout en signalant que le déficit de la Tunisie dépasse de plus de deux points de pourcentage du PIB la moyenne des pays de l’Union Européenne pour la période 2013-2021 :
2. Emprunts extérieurs et intérieurs
Quadruplement des capitaux extérieurs et doublement des emprunts intérieurs mobilisés. En effet,
les capitaux extérieurs mobilisés pour les besoins de financement du budget de l’Etat de la période 2011-2021 ressortent à quelque 56,6 milliards de dinars sous forme d’emprunts extérieurs et près de 3,6 milliards sous forme de dons extérieurs. Soit un total de 60,2 milliards de dinars. Ce qui correspond à près d’un quadruplement du niveau mobilisé durant la période 2000-2010 (14,4 milliards de dinars).
Alors que les capitaux mobilisés sur le marché intérieur connaissent plus qu’un doublement d’une période de 11 ans à l’autre, passant de 17 milliards de dinars environ à quelque 39 milliards.
3. Dette publique
Forte augmentation de la dette publique de 32 points de pourcentage du PIB par rapport à 2010.
D’ailleurs, il est relevé entre 2010 et 2021 plus qu’un quadruplement du montant nominal de la dette publique. L’encours de celle-ci passe de 25,6 milliards de dinars à 103,7 milliards de dinars pour 2021. Le taux d’endettement par rapport au PIB s’en trouve fortement augmenté, passant de 38,8 % en 2010 à 79 % en 2021. Trois principaux facteurs ont contribué à cette évolution; à savoir :
- La décélération de la croissance du PIB : 6,4 % par an à prix courants au cours de la période 2011-2021; contre 7,9 % pour la période 2000-2010.
- L’augmentation du déficit budgétaire : un maintien du taux moyen de la période 2000-2010, soit 2,27 %, aurait permis d’éviter un endettement de 36 milliards de dinars durant les années 2011-2021 ou plus du tiers de la dette.
- La dépréciation du dinar par rapport aux principales devises de remboursement de la dette extérieure entre 2010 et 2021 soit 74 % pour l’euro (de 1,897 dinar à 3,296 dinars); 95 % pour le dollar (de 1,433 dinar à 2,792 dinars) et 56 % pour le yen. Sachant que la part de la dette publique d’origine extérieure dans le total de la dette publique se situe à près de 61 % en 2021
Cela dit, les flux nets de ressources extérieures sont positifs de quelques 14 milliards de dinars durant les onze dernières années; contre des flux négatifs de près de 4,7 milliards de dinars pour la période 2002-2010.
Conclusion
Les développements qui précèdent montrent que la situation du budget de l’Etat est devenue, après le dérapage occasionnée par la crise sanitaire, très critique.
Les dérapages, par rapport aux ratios de la période 2000-2010, sont évalués à près de 5,3 points de pourcentage du PIB. Soit l’équivalent de 58 milliards de dinars. Ils sont occasionnés par l’envolée des dépenses au titre des traitements et des salaires servis aux agents de l’Etat; ainsi qu’au titre des subventions et des compensations budgétaires concomitamment à la décélération de la croissance.
Les tiraillements politiques, l’instabilité gouvernementale et les tensions sociales tout au long des 11 dernières années, conjugués aux graves implications de la crise sanitaire sur les fondamentaux des années 2020 et 2021 ont entravé le processus de réformes et nourri le climat d’attentisme. Entrainant ainsi un important recul de la Tunisie dans le palmarès mondial de la compétitivité économique globale (de la 32ème place en 2010à à la 87ème place en 2019); mais aussi une chute de l’investissement et un important ralentissement de la croissance et des créations d’emploi dans les secteurs productifs.
Ces contreperformances ont eu d’importantes répercussions sur les équilibres macro-économiques en général et sur les finances publiques en particulier. Elles ont été largement ressenties, comme cela a déjà été explicité dans les paragraphes précédents :
- Au niveau du taux de change du dinar qui accuse, malgré le redressement relatif enregistré à partir du second semestre de 2018, une importante dépréciation à l’origine de plus de 40 % de l’augmentation de la dette publique extérieure entre 2010 et 2021.
- Au niveau des recettes fiscales dont l’assiette se trouve affectée par le repli de la croissance amenant les autorités publiques à relever les taux d’imposition et à augmenter par voie de conséquence la pression fiscale sur le secteur organisé, augmentant d’autant l’attrait du marché parallèle qui prend une dimension préoccupante.
D’autres répercussions, insuffisamment reflétées par le budget de l’Etat méritent d’être signalées. Elles concernent plus précisément :
- Les caisses de sécurité sociale dont la trésorerie, outre les problèmes structurels qui tardent à être solutionnés, se trouve sérieusement affectée par le ralentissement des créations d’emplois, l’augmentation des impayés en relation avec les difficultés que vivent les entreprises. Les dettes de la CNRPS et de la CNSS ressortent, selon le rapport sur les entreprises publiques du Ministère des Finances, à 5,8 milliards de dinars à fin 2020 contre 4,4 milliards de dinars à fin 2018.
- Les entreprises publiques dont la situation financière continue à susciter de sérieuses inquiétudes. « Les résultats nets d’exploitation de ce secteur, qui étaient positifs de 1,2 milliard de dinars en 2010, sont devenus négatifs de l’ordre de 1,3 milliard de dinars en 2020 selon le dernier rapport du ministère des Finances. Et ce, du fait notamment de l’augmentation des charges d’exploitation en relation avec l’augmentation de l’effectif net de 25 000 environ entre 2010 et 2015 et la valorisation continue des salaires. La réactivation de la restructuration des entreprises publiques, aujourd’hui au bord de l’effondrement, revêt, désormais, une grande priorité. Sachant que la dette extérieure, contractée par les entreprises publiques et bénéficiant de la garantie de l’Etat, est évaluée à près de 12 % du PIB en 2015.
C’est pourquoi, la politique suivie jusqu’ici qui consiste à recourir principalement à l’augmentation de l’imposition et /ou de l’endettement pour préserver l’équilibre budgétaire a atteint ses limites. Et ce, compte tenu des importantes distorsions qui en résultent au niveau de l’allocation des ressources et de celui atteint par l’endettement public.
Il est donc impérieux qu’une approche globale de redressement des finances publiques, intégrant aussi bien le budget de l’Etat, que celui des collectivités locales, des caisses publiques de sécurité sociale et des entreprises publiques, s’éloignant de l’approche comptable, bénéficiant de l’appui notamment des organisations nationales, soit élaborée et mise en œuvre dans les plus brefs délais, dans le cadre d’une démarche résolument volontariste en vue d’assurer :
- Une accélération de la réforme fiscale et parafiscale dans le sens d’une plus grande simplification, d’une harmonisation des taux par rapport aux pays concurrents, d’un élargissement de l’assiette à travers l’intégration du marché parallèle dans le secteur organisé.
- Une accélération de la rationalisation des dépenses publiques à travers notamment une profonde restructuration aussi bien de l’administration que des entreprises publiques. Pour se rapprocher des normes internationales en matière de coût-efficacité. Et une refonte de la politique de subvention et de compensation dans le sens d’un meilleur ciblage en faveur des personnes, des secteurs et des régions prioritaires.
Il est, aussi et surtout, nécessaire que les réformes, récemment annoncées, se rapportant notamment à l’enseignement et à la formation, au secteur bancaire et financier, à la protection sociale et à l’emploi, aux circuits de commercialisation et de manière générale à l’environnement d’investissement, de production et d’exportation, soient engagées dans les meilleurs délais. Et ce, concomitamment à la clarification de la vision qui doit prévaloir en matière d’insertion de notre économie dans la chaine des valeurs mondiales prenant en considération les atouts dont dispose la Tunisie sur les plans humain et géographique.
Ce n’est qu’au prix de telles démarches que la Tunisie pourra retrouver une compétitivité compatible avec son potentiel réel et passer à des paliers supérieurs en matière d’investissement, de croissance et de création d’emplois répondant davantage aux préoccupations du pays tant sur le plan national que régional et qu’elle pourra, finalement, remettre sur les rails les finances publiques et l’économie du pays sur des bases viables et soutenables. Car un point de croissance du PIB de plus engendre aux alentours de 15 000 emplois supplémentaires et plus de 300 MDT de recettes fiscales additionnelles et, donc, une marge de manœuvre plus importante pour le rééquilibrage du budget de l’Etat et pour le rétablissement des fondamentaux de l’économie dans le cadre de coûts soutenables sur les plans politique et social.
Source: FIKD
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Lire la première partie :