L’opération mains propres préconisée par le président de la République, Kaïs Saïed afin de « nettoyer » l’administration tunisienne aura un coût social très élevé. Le nouveau chef du gouvernement chargé d’appliquer les consignes présidentielles a-t-il les moyens d’aller jusqu’au bout?
Un coup de pied dans la fourmilière de l’administration tunisienne. Assainir et purger l’administration tunisienne : tel est le chantier herculéen que le nouveau locataire du palais de La Kasbah est prié d’ouvrir sans tarder.
Réussira-t-il là où tous ses prédécesseurs ont lamentablement échoué, surtout dans les conditions actuelles et sans raviver les tensions sociales? En a-t-il les moyens? La tâche semble ardue, voire impossible pour un chef du gouvernement fraîchement nommé et qui cherche encore ses marques.
Priorité absolue?
De plus, il y a lieu de se demander si la purge de l’administration était une priorité à l’heure où les préoccupations majeures du citoyen lambda, écrasé par la cherté de la vie, résident à faire la queue sous un soleil de plomb à la recherche d’une baguette qui se fait de plus en plus rare. Sans parler des pénuries récurrentes des matières de base qui lui pourrissent la vie. Alors, de là à penser que ce nouveau dossier n’est qu’une diversion pour nous distraire des problèmes réels, il n’y a qu’un pas que certaines personnes « mal intentionnées », ont allégrement franchi. Pas forcement à raison.
Leitmotiv
En effet, en recevant la semaine écoulée le Chef du gouvernement, Ahmed Hachani à Carthage, le président de la République, Kaïs Saïed souligna la nécessité de préparer un projet de décret relatif « à la purge de l’administration de ceux qui s’y sont illégalement infiltrés il y a plus d’une décennie et se sont transformés en obstacles qui entravent le fonctionnement de l’Etat ».
Il a d’autre part rappelé l’importance de considérer les fonctionnaires, « selon leur sens des responsabilités ». Car « la compétence, si elle ne s’accompagne pas d’intégrité, ne peut être un critère de référence ».
Pour rappel, le chef de l’Etat a abordé le même sujet en recevant le même jour, précisément, jeudi 10 août à Carthage, Malek Ezzahi, ministre des Affaires sociales, pour le sommer de mettre les responsables régionaux face à leurs responsabilités. « Que ces derniers assument leurs fonctions au service du peuple », lit-on dans un communiqué publié par la présidence de la République.
« Quiconque s’écarte de cette voie n’a pas sa place dans l’administration. Chaque responsable doit servir le citoyen et le pays ou céder sa place à quelqu’un d’autre qui soit à la hauteur de la responsabilité », menaça le chef de l’Etat, selon la même source.
A rappeler également que le dossier de l’assainissement de l’administration tunisienne semble en ce moment au cœur des soucis du Président. N’avait-il pas, lors de la cérémonie de passation de pouvoirs entre Najla Bouden et son successeur à la Kasbah, évoqué un projet « pour réviser toutes les nominations partisanes de la dernière décennie qui étaient basées sur les obédiences politiques et des diplômes falsifiés par milliers ». Tout en ajoutant qu’il est urgent de « nettoyer » l’administration des éléments qui la paralysent?
Des chiffres effrayants
Le coup de balai revendiqué par le chef de l’Etat est-il justifié?
Il faut se rendre à l’évidence. Durant la dernière décennie où l’islam politique régna en maître, de nombreux recrutements au sein de l’administration furent abusivement effectués par favoritisme, sous le faux prétexte de préserver la paix sociale et de réparer les injustices du passé. Des diplômes falsifiés ont-ils été utilisés à cet égard?
Résultat des largesses gouvernementales soutenues par Ennahdha : l’explosion de la masse salariale. Selon des chiffres officiels, et rien que durant les trois premières années après la révolution, quelques 67 mille demandeurs d’emploi, dont plus de neuf mille blessés de la révolution, ont été intégrés dans la fonction publique. Actuellement, le nombre des fonctionnaires publics avoisine les 700 mille, soit pas loin du double d’avant la révolution.
Par ailleurs, les propos présidentiels ont été corroborés par l’expert en économie Ezzedine Saidane. Lequel a souligné la nécessité de vérifier les diplômes universitaires des employés de l’administration et du secteur public. En affirmant que « le nombre des fonctionnaires publics détenant des diplômes universitaires falsifiés s’élève à environ 120 mille ». Enorme!
En outre, s’exprimant sur les ondes de Shems lundi 1er août 2023, M. Saidane aura soutenu que ces diplômes falsifiés coûtent annuellement à l’État tunisien entre 3 et 4 milliards de dinars « Aujourd’hui, des enseignants, des ingénieurs et des médecins exercent leur profession avec de faux diplômes » a-t-il déploré. Relevant de plus que ces fonctionnaires ne jouissent donc pas de la compétence professionnelle nécessaire pour occuper les postes où ils exercent.
Restent les questions essentielles : que faire dans le cas de fonctionnaires recrutés illégalement grâce aux diplômes trafiqués, seront-ils licenciés illico-presto? Et quel impact sur le chômage et la paix sociale?
Un dossier explosif à manipuler avec des pincettes.