Le Niger, ce vaste pays africain, est désormais dans l’œil du cyclone. A tout moment, ce pays risque de basculer dans une guerre dévastatrice qui plongerait toute la région subsaharienne dans un chaos total. Le coup d’Etat qui vient de renverser l’ex-président, encore maintenu en détention par son propre service de sécurité, était prévisible. Car ce pays, qui est le 7ème producteur d’uranium dans le monde et qui fournit à la France l’essentiel de ce précieux métal qui fait tourner les turbines des centrales nucléaires de l’Hexagone et donc la fournit à hauteur de 70 % en énergie électrique, est un des plus pauvres de la planète. Avec une population de plus de 25 millions d’habitants et de 1 267 000 km2 de superficie. Or le Niger est un pays voisin de nos voisins avec qui il partage de longues frontières qui traversent le grand Sahara; région par laquelle surgit la grande déferlante migratoire subsaharienne. Une des digues qui retenaient, tant bien que mal cette vague migratoire historique, vient de céder avant bien même le début de la guerre annoncée officiellement par la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Le syndrome de Sfax risque de se reproduire à tout moment. Donc, danger sur la sécurité nationale !
Elle n’est pas seulement d’ordre migratoire ! Cette zone africaine est devenue, depuis une décennie, un enjeu primordial entre les USA et leurs alliés européens d’un côté; et la Chine et la Russie de l’autre. Les stratèges américains, et notamment des dirigeants de l’AFRICOM, ont déclaré à maintes reprises que leur objectif principal dans la région de l’Afrique centrale et de l’Ouest est de contenir l’avancée sino-russe. Laquelle se manifeste économiquement par la formidable poussée de l’investissement chinois et militairement par le contrôle des légions Wagner pro-russes de plus en plus de territoires. Et surtout de nouveaux régimes, anciennement inféodés à la France, et qui sont désormais tombés dans l’escarcelle russe.
L’imbroglio africain
Le Niger, cette ex-colonie française, vient de subir le même sort, que la Centrafrique, le Burkina-Faso et le Mali. Le Tchad est certainement le prochain sur la liste.
En fait, il s’agit plutôt de la décadence d’une ex-puissance coloniale, la France, plus qu’une véritable offensive russe et chinoise. Les régimes installés par Paris sous couvert de démocratie et des droits de l’Homme, depuis le fameux discours de la Baule de François Mitterrand (20 juin 1990), n’ont fait qu’amplifier le pillage des richesses naturelles dont l’uranium nigérien. Tout en empêchant toute possibilité de développement autonome et d’économies qui répondent aux besoins des populations.
Le retour de manivelle, la conséquence de cette politique néocoloniale a débuté et les régimes pro-français ont commencé à s’écrouler comme un château de cartes. D’où la panique dans le camp français, surtout que leurs services de renseignements n’ont rien vu venir! Alors, la France, s’appuyant sur ce qu’il lui reste comme influence sur les régimes membres de la CEDEAO, a poussé cette organisation régionale, essentiellement économique, à annoncer une intervention militaire pour « rétablir l’ordre démocratique » (sic!). La France n’étant plus en mesure d’intervenir militairement, elle a tenté d’impliquer les autres pays africains, dont le Nigeria! Sauf que la réaction africaine a déjoué cette grande manœuvre française. Car il faut rappeler que le seul vrai pays qui a une armée capable d’intervenir est bien le Nigeria qui n’a jamais été du côté français.
En effet, les Nigérians musulmans du nord ou chrétiens et animistes du sud ne portent pas la France dans leur cœur à cause de la guerre du Biafra (1967-1970). En effet, la France, qui voulait contrôler totalement le pétrole nigérian du sud-ouest, avait poussé des généraux chrétiens du sud à déclarer l’indépendance par rapport au gouvernement de Lagos.
La guerre du Biafra avait fait plus de trois millions de morts, essentiellement par famine, et plus de quatre millions de déplacés. La mémoire collective nigériane, chez les chrétiens et les musulmans, n’a jamais oublié cette guerre et les tragédies qui s’en suivirent.
D’une part, l’ethnie haussas compose plus de 60 % de la population nigériane et plus de 40 % de celle du Niger. Les grands chefs militaires dans les deux armées sont en général issus de cette matrice ethnico-religieuse. Et il est fort probable que les militaires nigérians musulmans fassent entendre leur voix. Surtout qu’il y a un grand risque qu’une guerre déclenchée au Niger s’étende au pays haussas du Nigeria avec la présence de Boko Haram, organisation terroriste mais puissante qui exploitera certainement le conflit pour déstabiliser la région.
D’autre part, s’il y a un pays qui tient à la stabilité du Niger, c’est bien le Nigeria. Non seulement pour des considérations ethnico-religieuses; mais surtout parce que le futur gazoduc, qui part du sud de ce pays traverse le Niger et l’Algérie du sud au nord avec plus de 4 000 km pour approvisionner l’Europe, fera du Nigeria un des plus grands fournisseurs de gaz pour le Vieux continent.
C’est donc pour des raisons stratégiques, qu’aussi bien la CEDEAO que l’Union africaine sont divisées et que les pays africains n’aimeraient pas voir se développer un nouveau foyer de guerre qui risquerait de déstabiliser tous les régimes sans exception.
La donne algérienne…
Par ailleurs, rien ne se passera au Niger sans l’accord de l’Algérie, qui partage avec ce pays une longue frontière poreuse et dangereuse pour la sécurité de ce pays maghrébin. L’opposition algérienne à toute intervention africaine dans les affaires du Niger est dictée par son intérêt aussi bien économique que militaire.
Le sentiment de la « forteresse assiégée », qui explique toute la politique extérieure algérienne, n’est pas le seul facteur qui a poussé le gouvernement algérien à opposer un rejet clair de toute intervention militaire. Les rapports compliqués avec la France peuvent également expliquer ce refus. Sachant qu’Alger soupçonne Paris d’être derrière la position prise par la CEDEAO.
Alger a toujours aussi entretenu d’excellents rapports avec les pays du sud du Sahara et notamment le Nigeria qui accueille une ambassade du Polisario, au grand dam du Maroc.
En outre, le nouveau gazoduc scelle un partenariat entre les deux pays, avec un soutien russe important. Car Poutine avec Bouteflika ont été à l’origine de ce grand projet. Lequel s’avère actuellement stratégique aussi bien pour les pays africains que pour l’Europe. Les accords italo-algériens en matière d’énergie confirment ce fait.
De plus, toute intervention militaire française directe au Niger ne peut se faire sans l’accord de l’Algérie. Puisque les avions français devraient traverser l’espace aérien algérien comme pour le Mali. Déjà que les relations franco-algériennes passent par un mauvais moment et que la visite du chef d’Etat algérien en France a été retardée à deux reprises, la situation au Niger ne peut qu’ajouter une note de discorde à ces relations déjà mises à mal.
Pour sa part, la Tunisie, qui s’était empressée à condamner « le coup d’Etat » au Niger ne semble pas avoir coordonné sa position avec notre voisin de l’ouest qui a une frontière et des intérêts communs avec le Niger. Ce qui expliquerait peut-être le message envoyé par le président de la République via le MAE au président algérien. S’il est vrai que notre pays doit d’abord chercher ses propres intérêts, il est aussi vrai que nous n’avons jamais eu une politique africaine. Faute que nous payons actuellement, ne serait-ce que pour juguler le flux migratoire subsaharien.
Et la Libye…
Il est donc clair que l’œil du cyclone qui se situe au Niger risque de s’étendre à nos frontières surtout avec la Libye. Ce pays, qui n’a plus d’Etat ni d’armée capables de sécuriser ses immenses frontières, risque de nous exporter les violences qui le déchirent, notamment à Tripoli.
Ainsi, la crise du Niger va avoir des répercussions directes sur ce pays, surtout en l’absence d’un gouvernement digne de ce nom. En cas d’embrasement au Niger, la Libye pourrait servir de base arrière pour les groupes terroristes, mais aussi pour les légions pro-russes, Wagner. Cela ne se passera pas très loin de nos frontières et peut avoir un impact direct sur notre sécurité nationale.
D’autre part, les USA, qui possèdent une base militaire au Niger, semblent s’accommoder de la nouvelle situation politique dans ce pays. D’ailleurs, ils profitent du fiasco français pour avancer leurs pions et empêcher les Russes et les Chinois de s’y installer; et ce, en envoyant leurs légions armées soutenir le nouveau pouvoir. Paris semble être définitivement dépassé. Tandis que la nouvelle junte a menacé de couper toute collaboration militaire et surtout remettre en cause l’accord entre le gouvernement nigérien et la société française qui exploite plusieurs gisements; d’autant plus que la part du Niger de cette richesse est dérisoire.
Alors, il est temps que notre diplomatie se réveille et fasse montre d’intelligence stratégique, au lieu de continuer à rabâcher de vieux clichés.