On ignore pour quelles raisons l’ancienne première ministre Najla Bouden a été démise de ses fonctions, du reste de manière pas glorieuse. Ce que l’on sait, en revanche, c’est qu’elle a laissé derrière elle, au terme de deux années à la tête du gouvernement, un pays ruiné, dévasté par une grave crise économique, financière et sociale qui n’en finit pas de finir. Voulait-elle faire plus et mieux sans y parvenir ? On n’a aucune raison de douter de son engagement. Pouvait-elle, au regard de ses minces attributions, faire bouger les lignes, changer les choses et marquer de son empreinte son passage à La Kasbah ? Sur cette épineuse interrogation, les avis sont partagés. Ce qui ne la met pas à l’abri de toute critique tant sa responsabilité est pleinement engagée. Elle a certes hérité d’une croissance atone et d’une économie en état de choc, affaiblie par l’incurie d’une succession de dirigeants que rien ne prédisposait ni ne prédestinait aux responsabilités gouvernementales. Najla Bouden n’a pas su ou pu administrer dans l’urgence les soins intensifs pourtant largement identifiés, pour écarter le danger. Elle s’est contentée de palliatifs et de faux-fuyants qui ont plongé le pays dans une véritable impasse. Elle le quitte en le laissant dans un état de mort cérébrale. Encore une fois, à qui la faute ? L’ancienne cheffe du gouvernement en titre ne peut, à l’évidence, se barricader derrière le paravent constitutionnel qui ne lui accorde que peu de pouvoir de décision. Pour autant, son statut, fût-ce de premier ministre, ne la condamne pas au silence, à la résignation ou à l’immobilisme. Si tel es le cas, le doute s’installe pour toujours. Ce n’est pas d’un bon présage.
La réforme de l’Etat, la mère des réformes, se fait attendre et ne serait même pas, malgré les déclarations d’intention, à l’ordre du jour.
Rien de ce qui aurait dû être entrepris dans l’immédiat et à terme n’a été profondément engagé pour éclairer l’horizon, libérer les énergies, la créativité, l’investissement et la croissance. Les pertes abyssales des entreprises publiques sont hors de contrôle. Souvent avec la complicité de l’Etat qui contraint celles qui ont encore la tête hors de l’eau à payer de véritables bataillons d’emplois fictifs à travers des sociétés virtuelles pompeusement baptisées de développement. Horrible manière d’acheter la paix sociale. Car si on voulait provoquer le désordre, le chaos social et la faillite, on n’agirait pas autrement. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, la montagne de la dette écrase la croissance et laisse peu d’espoir aux générations futures. A quoi s’ajoutent les dépenses de la Caisse générale de compensation qui creusent les déficits budgétaire et commercial dans un silence inexpliqué des autorités face à la colère des ménages, plongés dans la précarité par la valse des prix en folie. La réforme de l’Etat, la mère des réformes, se fait attendre et ne serait même pas, malgré les déclarations d’intention, à l’ordre du jour. Pas de réduction du sureffectif et moins encore de redéploiement de personnel. L’Etat se contente de faire de la résistance et rechigne à augmenter les salaires dont la part rapportée au PIB est la plus élevée de par le monde. Or vouloir comprimer la masse salariale sans réduction d’effectif est la pire des mesures, surtout dans un contexte à forte inflation. De quoi alimenter la grève de zèle et abîmer davantage les prestations publiques.
Il faut sans relâche construire de nouveaux canaux de confiance avec les bailleurs de fonds pour éviter le défaut de paiement.
La fiscalité n’est pas en reste. Elle n’a pas vu passer le vent de la réforme. Les prélèvements obligatoires, contre toute attente, oppriment les contribuables et privent d’oxygène et de carburants les entreprises, grandes et petites, qui n’ont pas encore rejoint le maquis de l’informel. L’élargissement de l’assiette fiscale, pour en réduire la pression, tarde à venir. On en mesure chaque année le coût de non-réforme en termes de recul de l’investissement, de la croissance et des… recettes potentielles de l’Etat. Aborder le bilan sous le prisme dominant du passif du gouvernement Bouden est dans l’ordre des choses après son départ. Cela revient à désigner les failles de l’économie nationale, les points de déséquilibre et les chantiers qui interpellent le nouveau chef du gouvernement, M. Ahmed Hachani. Il est tenu d’y apporter dans l’immédiat ne serait-ce qu’un début de solution pour monter dans l’estime des Tunisiens. L’urgence frappe à nos portes. La maison brûle par certains endroits et le feu menace de se propager partout. Comment boucler le budget 2023 sans un accord – incontournable – avec le FMI ? Il faut sans relâche construire de nouveaux canaux de confiance avec les bailleurs de fonds pour éviter le défaut de paiement. Le nouveau chef du gouvernement le 4ème en 4 ans doit au plus vite arrêter l’hémorragie des réserves de change et mettre fin au gâchis provoqué par les entreprises publiques, les dépenses à tout va à crédit de l’Etat, et au final injecter de la sérénité, de la confiance et de l’espoir. Il prend les rênes du gouvernement à l’heure où le pays ne s’est jamais senti si démuni, si vulnérable, si incertain et si désespéré. Tout laisse croire que la population a pris conscience de la gravité du danger. La peur est bonne conseillère. C’est même l’atout-maître du nouveau locataire de La Kasbah. Il doit profiter de cet effet d’aubaine, de cet alignement des planètes pour engager les réformes structurelles sans lesquelles il n’y a point de salut. Les réformes longtemps reportées ? C’est maintenant ou jamais. Les Tunisiens, apeurés par les pénuries qui s’enkystent et lassés par les files d’attente à n’en pas finir, sont moins enclins à faire de la résistance. L’UGTT elle-même bat en retraite et n’est plus en capacité d’interférer dans les politiques publiques et sectorielles de l’Etat et moins encore d’imposer ses conditions, au mépris de tous les principes de réalité. Les vents de la réforme n’ont jamais été aussi favorables.
La voie est balisée et libre de toute entrave constitutionnelle. Il sait ce qu’il doit faire face aux convulsions qui secouent le pays et comment s’y prendre de par son parcours professionnel au sein de la plus prestigieuse et plus exigeante de nos établissements publics qu’est l’institut d’émission.
Ahmed Hachani a la confiance du Président et la neutralité bienveillante d’une large frange de la population. Il n’a rien à craindre du parlement, réduit à un simple rôle de figuration. La voie est balisée et libre de toute entrave constitutionnelle. Il sait ce qu’il doit faire face aux convulsions qui secouent le pays et comment s’y prendre de par son parcours professionnel au sein de la plus prestigieuse et plus exigeante de nos établissements publics qu’est l’institut d’émission. Il lui appartient de donner la preuve de sa capacité d’écoute, de concertation, de s’ouvrir sur les autres et d’entraîner. Dans l’accomplissement de ses nouvelles charges, il n’y a pas mieux que le courage et l’audace pour forger le succès. Gare à l’immobilisme, au déni de la réalité et aux solutions qui n’en sont pas.
Cet édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 876 du 16 août au 13 septembre 2023