Alors que l’augmentation des prix montre des premiers signes de décélération, la Régie nationale des tabacs et des allumettes (RNTA) et la Manufacture des tabacs de Kairouan (MTK) ont annoncé, dans la soirée du dimanche 20 août 2023, l’actualisation de la nomenclature et des prix de produits monopolisés.
Cette augmentation des prix permet aux autorités de réaliser plusieurs objectifs d’un seul coup. En revanche, elle représente, également, un fardeau additionnel pour un consommateur déboussolé par l’inflation.
Bouffée d’oxygène pour les entreprises publiques
Le premier bénéficiaire reste les deux sociétés publiques qui gèrent exclusivement cette industrie, qui auront un coup de pouce en termes de chiffre d’affaires. Les derniers chiffres disponibles sont relatifs à l’exercice 2021 et sont provisoires.
La RNTA aurait signé deux années rentables, affichant un résultat net de 12 MTND en 2020 et 83,8 MTND en 2021. Elle a réalisé un chiffre d’affaires de 525 MTND, mais elle a des résultats reportés de -391,0 MTND. Ce qui fait que les fonds propres sont négatifs de 227,6 MTND fin 2021. Son endettement s’est élevé à 589,8 MTND, dont 261,8 MTND au profit des fournisseurs.
Quant à la MTK, elle a également retrouvé l’équilibre dès 2020, avec un résultat net de 0,6 MTND. Ses performances se sont consolidées à 26,5 MTND en 2021. À l’instar de la RNTA, ses résultats reportés négatifs ont totalisé à -260,2 MTND et ses fonds propres sont profondément dans le rouge, à –200,8 MTND. Son endettement a totalisé 426,6 MTND, dont 155,1 MTND au profit des fournisseurs.
Les caisses de l’Etat vont aussi profiter pour engranger des droits de consommation supplémentaires. Dans la loi de finances 2023, cette augmentation était programmée et elle visait la collecte de 175 MTND additionnels. Vu qu’elle est intervenue dans cette période de l’année, nous pensons que son impact financier serait inférieur aux estimations.
Impact direct sur la santé
L’expérience européenne, et dans les pays développés, a prouvé que l’augmentation des prix des cigarettes est corrélée à la baisse de la consommation. En Tunisie, la simple observation constate que c’est loin d’être le cas. Economiquement, c’est un bien effet Veblen par excellence.
L’impact du tabagisme sur la santé publique est énorme : 2 000 MTND par an, soit 1,8 % du PIB selon les chiffres d’une analyse faite par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) et le ministère de la Santé. Les dépenses de santé s’élèvent à 146,3 MTND par an. L’étude élaborée par ces deux établissements a montré que l’élasticité moyenne globale de la demande à l’augmentation des prix est de -0,27. Ce qui signifie que si les prix augmentent de 100 %, la prévalence du tabagisme devrait diminuer de 27 %. Cela constituerait un gain de taille pour la santé publique.
La hausse des prix constitue l’une de plusieurs mesures recommandées pour faire baisser la consommation et donc la facture économique et sociale. L’inaction coûterait 22 300 MTND sur les 15 prochaines années. La mise en place d’un plan de lutte adéquat permettrait d’économiser 5 700 MTND sur la même période. Ces gains proviendraient de l’évitement de la mortalité prématurée (296,3 MTND), de la baisse des dépenses de santé (27 MTND), de la réduction du présentéisme (25,7 MTND), du recul des pauses-cigarette (18,2 MTND) et de la réduction de l’absentéisme (9,5 MTND).
Quid du marché parallèle?
Socialement et économiquement, les retombées seront bien négatives. Vous pouvez imaginer la colère d’un jeune chômeur, pour qui les clopes sont un anti-stress. S’il garde la valeur de sa consommation, il sera contraint de fumer quelques cigarettes de moins chaque jour. S’il n’accepte pas de le faire, ce sont ses parents qui vont supporter le coût au détriment d’autres dépenses.
De plus, ces décisions sont une aubaine pour le marché parallèle. Plus que jamais, il sera sollicité par des consommateurs ayant un pouvoir d’achat réduit. Pour être efficace, l’action publique doit également se focaliser sur la maîtrise des flux clandestins de cigarettes, qui causent un manque à gagner colossal àl’Etat.