Depuis sa réélection, le président Recep Tayyip Erdoğan veut changer de cap en matière de politique monétaire. Paradoxalement, il est prêt à accepter de retourner à l’orthodoxie économique après des années de contrôle étroit de l’État sur la Banque centrale de Turquie et de refus d’augmenter les taux d’intérêt; en dépit d’une inflation galopante.
Erdoğan est connu pour être un fervent opposant aux taux d’intérêt. Refusant de les augmenter, alors que l’inflation atteignait fin 2022 le chiffre effarant de 85 %. Pour lui, toute hausse va nuire à l’économie. Le résultat est une crise monétaire et une lire qui continue de creuser le fond.
Une économie à plat
Les marchés avaient prédit un nouvel épisode d’effondrement de la lire en cas de réélection d’Erdoğan. C’était effectivement le cas dès le résultat du premier tour. Toutefois, la nomination de Mehmet Simsek au poste de ministre des Finances a suscité une certaine confiance chez les entrepreneurs.
L’homme est largement respecté par les investisseurs turcs et l’interprétation de sa nomination était une autorisation explicite à augmenter les taux. Il semblait, enfin, qu’il y aurait de sérieux changements fiscaux, budgétaires et monétaires capables de faire sortir le pays de la crise.
Certes, les arrangements attendus seront douloureux dans le pays. Ainsi, un décideur politique tout à fait orthodoxe laisserait le taux de change s’ajuster de lui-même et augmenterait considérablement le taux directeur. Il était inconcevable de garder un taux directeur à 8,5 %; alors que l’inflation s’élève à 46,6 % et que le taux de dépôt frôle les 40 %.
Les mesures effectives ont déjà commencé. En deux mois, la Banque centrale de Turquie a augmenté son taux de 900 points de base à 17,5 %. Elle a justifié ce choix par la nécessité de maintenir un degré élevé de resserrement monétaire face aux pressions inflationnistes résultant de la faiblesse de la demande intérieure, de la hausse des prix des matières premières et de la dépréciation du taux de change.
Cycle de resserrement
Cerise sur le gâteau : le resserrement monétaire sera renforcé autant que nécessaire, de manière opportune et graduelle. Et ce, jusqu’à ce que les perspectives d’inflation s’améliorent de manière significative. Une réunion cruciale du Conseil de la Banque centrale turque se tiendra ce 24 août 2023. Le consensus des économistes selon Reuters converge vers une nouvelle hausse du taux directeur de 250 points de base à 20 %.
Malgré cela, une désinflation durable reste peu probable dans un environnement où le taux directeur réel devrait rester profondément négatif. Les prévisions évoquent un taux directeur de 30 % d’ici décembre 2023.
La Banque centrale a également commencé à simplifier les mesures macro-prudentielles, outils visant à garantir la stabilité du système financier, mises en œuvre sous l’ancien gouverneur. Elle soutient les hausses de taux par un resserrement qualitatif et sélectif du crédit. Le weekend dernier, elle a commencé à supprimer un système coûteux qui protège les dépôts en lires contre la dépréciation des devises.
Un coup dur pour les banques en Turquie?
Ainsi, de nouvelles règles ont été adoptées, lançant la première étape de l’abandon des comptes protégés contre le risque de change. Dans le cadre de ce mécanisme, les déposants de la lire reçoivent une compensation garantie par l’État pour toute dépréciation dépassant les intérêts des comptes.
Conçus comme un plan d’urgence de protection de la lire à la suite d’une crise monétaire en décembre 2021, les dépôts dans ces comptes ont atteint un encours de 124 milliards de dollars. Soit plus d’un quart de tous les dépôts détenus dans les banques turques. La Banque centrale a demandé aux banques de convaincre, progressivement, les déposants de convertir leurs économies en comptes en lires ordinaires. La fin de ce programme est essentielle pour simplifier le cadre de la politique monétaire et renforcer les mécanismes de transmission.
En réalité, cette transition est difficile à gérer. Les établissements de crédits turcs se plaignent que les nouveaux objectifs des autorités monétaires pour limiter l’utilisation d’un outil destiné à soutenir la lire mettent en péril leurs bénéfices. Les banques seraient obligées d’investir davantage dans la dette publique turque à « faible » rendement, qui ne rapporte qu’environ 21 %, un niveau bien inférieur à l’inflation.
Ce qui va se passer dans ce pays servira d’une bonne leçon pratique pour les fervents défenseurs d’une politique de baisse des taux en Tunisie; alors que l’inflation n’est pas maîtrisée. C’est un fait que le contexte actuel est douloureux à supporter; mais il faut avoir la certitude qu’un laxisme monétaire rendra notre quotidien infernal.