La force des organisations islamistes comme celle des Frères Musulmans tunisiens, réside dans leur formidable capacité de résister à toutes les attaques de leurs adversaires; surtout aux campagnes de répression les plus violentes. Car ce ne sont pas un parti politique classique, mais une jama3a, sorte de confrérie, dont les membres sont liés par un serment d’allégeance, bay3a à la vie, à la mort à leur chef religieux, en l’occurrence Rached Ghannouchi.
Le Mouvement Ennahdha, qui se veut politique et démocratique, n’est en fait qu’un leurre et peut être l’objet de luttes politiques internes. Et c’est la vitrine légale et officielle, d’une nébuleuse d’organisations clandestines et publiques, qui constituent l’ossature réelle du mouvement. En cas de coup dur ou de répression des dirigeants politiques officiels, une structure clandestine dont les membres sont inconnus des forces de sécurité prend automatiquement le relais et œuvre surtout pour sauver et protéger ce qui reste de l’organisation mère. C’est le cas aujourd’hui pour les islamistes tunisiens dont les principaux dirigeants sont en prison, vraisemblablement pour un bon moment. L’essentiel des cadres a replongé dans la clandestinité ou s’adonne à des activités qui ne les mettent pas en danger.
La faute originelle de Ghannouchi
Rached Ghannouchi est un authentique chef politique et religieux, de l’obédience « frèriste », formé et aguerri par plus de soixante ans de lutte contre la machine sécuritaire tunisienne. Sauf qu’il porte comme un ADN, de ces organisations conspiratrices qui ont jalonné l’histoire des sociétés arabo-musulmanes, que cela soit en phase « démocratique » ou en phase autoritaire.
L’arme redoutable, de Rached Ghannouchi est la conspiration. C’est son pêché originel. Dans les années soixante-dix, il avait noué une alliance avec une aile destourienne qui a permis à son mouvement de publier la revue « al-ma3rifa » qui était imprimée dans les imprimeries du parti destourien, alliance dirigée contra la gauche et les syndicats, notamment l’UGTT. Avec l’avènement de la révolution iranienne, il opta à son tour pour une révolution islamiste et ce fût le début d’une longue confrontation avec l’appareil sécuritaire qui se solda dans le début des années quatre-vingt par une vague d’arrestations et de lourdes condamnations de ses dirigeants. Ce qui ne l’empêcha pas de nouer une alliance avec l’ex premier ministre de Bourguiba, Mohammed Mzali, qui espérait succéder au Zaïm, atteint par l’âge et la maladie. Mais Mzali écarté, le mouvement de « la tendance islamiste » avait alors subi le courroux de Bourguiba qui exigea du Président de la Cour de la Sureté de l’Etat une condamnation à mort des principaux dirigeants, dont Ali Larayedh et Rached Ghannouchi. Il faut rappeler que l’organisation islamiste est passé à la violence et a commis les attentats de Sousse où des touristes allemands avaient perdu la vie.
C’est Zine Al-Abidine Ben Ali qui sauva les islamistes de la potence et Rached el Ghannouchi de la mort. La mise à l’écart de Bourguiba, le 7 novembre 87, et l’arrestation des membres de « l’appareil secret » composé de militaires félons, qui devaient exécuter un coup d’Etat et assassiner le leader suprême, a poussé Rached Ghannouchi et ses camarades à annoncer leur ralliement au nouveau régime et tout le monde se rappelle la fameuse déclaration de R. Gh. : « Maintenant il y a Dieu et après lui Ben Ali » ! En guise de « cadeau », Ghannouchi s’est engagé à renoncer à toute opération d’infiltration de l’armée et de l’appareil militaire. Sauf qu’il n’a jamais tenu sa promesse et Ennahdha a repris son travail de fourmi pour phagocyter l’Etat de l’intérieur.
Le pouvoir, qui à son tour infiltrait Ennahdha, a pu suivre tout le complot que ce parti dit civil tramait dans la clandestinité et décida de frapper le premier et fort, pour empêcher une tentative d’assassinat de Ben Ali, en faisant exploser son avion avec un missile Stinger. La répression fût féroce, les peines de prison lourdes et l’organisation islamiste fût totalement décapitée. Non sans avoir au préalable exfiltré R. Ghannouchi lui-même via l’Algérie, qui comprit alors qu’une main de fer allait s’abattre sur ses adeptes et militants, mais les sacrifia sur l’autel de ses ambitions et son aventurisme politique.
Faute qu’il répéta avec Kaïs Saïed qu’il ambitionnait de remplacer en créant une vacation du pouvoir. Sachant que la constitution de 2014, taillée sur mesure pour et par les islamistes, accordait au président du parlement le droit de succéder au Président en poste, en cas de vacation naturelle ou occasionnée. C’est pour cela que Rached Ghannouchi a tout fait pour devenir Président du la chambre des députés. Sauf qu’encore une fois il a sous-estimé son adversaire. Et cela a abouti au 25 Juillet 2021 qui ne fût pas un coup d’Etat, mais un coup de force contre la conspiration islamiste.
Sentant le vent tourner, au lieu de chercher à temporiser et à trouver un compromis avec KS, Rached Ghannouchi a choisi la fuite en avant, croyant que les Américains et les Européens allaient voler à son secours au nom de la démocratie et des droits de l’Homme et imposer un retour à l’ordre de l’avant 25 juillet. Ce qu’ils ont effectivement tenté de faire sauf qu’il y a eu l’intervention russe en Ukraine, qui changea toute la donne géostratégique dans la région du sud de la Méditerranée. Ce qu’aussi Rached Ghannouchi n’a pas vu venir.
Toutefois, il a réussi encore une fois à se poser en victime et à mobiliser autour de lui un bouclier fait d’anciens politiciens en quête d’aventure pour agir sur l’opinion nationale et internationale. Aidé en cela par l’incapacité du pouvoir à redresser la situation économique et stopper la détérioration de la situation sociale de l’ensemble des couches populaires.
Le véritable allié des islamistes actuellement est bien la crise sociale, financière et économique qui a atteint un seuil intolérable. Et c’est sur cette évolution vers une crise généralisée que tablent Rached Ghannouchi et ses alliés. En croyant qu’un soulèvement populaire reste le seul moyen pour eux de les libérer de la prison et des lourdes charges qui pèsent sur eux et pourquoi pas les remettre en scelle politiquement!
L’histoire ne se répète pas
C’est encore une faute de Rached Ghannouchi que de croire à une réédition des évènements de 2011. Quelle que soit l’évolution politique du pays dans les mois qui viennent, les islamistes sont déjà hors jeu et seront dans l’incapacité de rebondir à nouveau. La différence fondamentale est que la majorité écrasante les a rejetés après dix ans au pouvoir qui ont fait de la Tunisie un pays et un Etat à la dérive. Et puis et surtout, les frères musulmans ne sont plus une carte majeure pour les puissances de ce monde. Même la Turquie et le Qatar ont fini par les abandonner à leur triste sort et ont coupé la manne financière qui les arrosait jadis.
D’autre part, l’usure du pouvoir qu’ils ont subi en dix ans, ainsi que leur véritable nature rétrograde et antipatriotique ont définitivement réduit leur assise sociale et surtout leur puissance électorale. Ce qu’ils savent pertinemment. Alors il ne leur reste que l’aventure et la conspiration pour se remettre en scelle. L’une d’elle consiste à organiser un pseudo congrès, comme si jamais ils ont tenu véritablement des congrès démocratiques. Lesquels ne furent d’ailleurs que des occasions pour renouveler leur allégeance à leur unique et éternel chef, qui ressemble de plus en plus à un gourou d’une secte millénariste qu’à un leader de parti politique.
L’objectif d’une telle mascarade est encore une fois de tromper l’opinion pour lui croire que les islamistes tunisiens ont changé et sont devenus fréquentables. Mais tout pousse à faire croire que cette manœuvre n’aboutira qu’à un échec. La seule chose que peuvent faire les islamistes tunisiens c’est de s’auto dissoudre et rendre ainsi service à la Nation. Mais parions qu’ils vont se faire cette fois-ci harakiri!