Cette œuvre collective, sous la direction de Hamadi Redissi, se propose d’étudier l’actuel régime tunisien : est-ce une dictature, une tyrannie, un despotisme, un régime présidentiel ou un populisme plébiscitaire? Quelle est la nature de ce pouvoir? « Kaïs Saïed gouverne seul. Le constat est sans appel », affirme Hamadi Redissi.
« De l’homme-peuple à l’homme-Etat », Sahbi Khalfaoui inscrit son analyse dans une vision populiste. Il s’agirait de « l’installation d’une nouvelle clientèle administrative, au service du président »(p. 25). Zied Krichen fait valoir les paradoxes d’un pouvoir populiste autoritaire et solitaire. Peut-on parler d’un « populisme à la Robin des Bois », puisque Kaïs Saïed reste populaire (pp 35 – 44).
Pour sa part, Hamadi Redissi estime que Kaïs Saïed instaure une « dictature singulière : elle n’est pas fondée sur la force brutale. Les droits individuels n’y sont pas systématiquement bafoués, les partis ne sont pas carrément interdits, les médias ne sont pas complétement contrôlés par les autorités, la justice n’est pas totalement aux ordres » (p. 45). Le distinguant du « coup d’Etat républicain de Bourguiba et médico-légal de Ben Ali », il définit le pouvoir de Kaïs Saïed comme « un auto-coup d’Etat, un self-coup ».
S’agirait-il d’une dictature constitutionnelle? Conclusion de l’auteur : « Le président sort d’une démocratie déréglée » (p. 54), qui s’orienterait vers un système autoritaire (p. 58). Hamadi Redissi estime donc que le régime tunisien actuel s’apparenterait à la dictature personnaliste où l’accès aux postes dépend essentiellement du pouvoir discrétionnaire du leader (p.59).
La deuxième partie, le droit comme volonté d’un seul, comprend ces participations :
- Trois Constitutions, un seul pouvoir de Sana Ben Achour;
- La Constitution du 25 juillet 2022, consultation de la dé-démocratisation de Salsabil Klibi;
- La régression des droits des femmes de Hafidha Chekir;
- Accaparer le pouvoir de nommer de Hatem Chakroun.
Ainsi, Sana Ben Achour affirme que le président a détricoté les institutions pour s’ériger en pouvoir constituant (p. 89) et qu’il a rogné l’indépendance de la justice, instaurant un régime présidentialiste et assurant la revanche de l’exécutif (pp. 97 et suivantes).
Omission évidente, Kaïs Saïed ne s’inscrit pas dans la mouvance bourguibienne et celle du Code du Statut Personnel.
La troisième partie traite la question : religion de l’Etat, religion de la Umma. Asma Nouira évoque la mainmise de l’Etat sur la religion. Elle l’inscrit dans la velléité de faire valoir « une constitutionnalisation de la charia, en tant que source formelle de droit » (p. 156). Sarah Ben Nefissa examine les rapports du président avec Ennahdha.
La quatrième partie est consacrée à la domination du champ médiatique. Est-ce à dire que les libertés de l’information sont désormais menacées? Innovation importante, les auteurs font valoir le rôle du réseau social Facebook.
Conclusion de l’étude : est-on dans un populisme, sans peuple (cinquième partie). Cette fusion chef/peuple fait de la consultation un plébiscite (p. 216). Mais les élections législatives de 2023 ont assuré l’évolution du vide démocratique au vide politique (Hafidh Chekir, p. 231 et suivantes). Fait important, l’évolution politique s’inscrit dans une économie en dérive (Ayssen Makni, p. 255 et suivante).
Comment expliquer la popularité de Kaïs Saïed, en dépit de sa politique du laisser faire. Dans le cas tunisien, on peut évoquer le « syndrome de Stockholm ». A savoir ce phénomène d’adoption de la pensée dominante et d’identification avec leurs représentants. Nous nous rendons compte, dans ce cas, que ce syndrome peut se reproduire même dans un contexte démocratique.