Créé en 2001 par le chef économiste de la banque d’affaires américaine, Goldman Sachs, le concept de BRIC, puis BRICS, avec l’adjonction de l’Afrique du Sud, a été fréquemment présenté comme dénué de sens, tant les États réunis en cet acronyme de cinq lettres sont différents, voire antagonistes. Leur 15ème Sommet qui vient de se tenir à Johannesburg montre qu’il n’est rien et qu’avec l’élargissement et l’approfondissement, une nouvelle étape, peut-être décisive, vient d’être franchie.
Le fossé entre the « West and the Rest », le Nord et le Global South, se creuse un peu plus. Même si, par pragmatisme, il peut être franchi occasionnellement par l’un ou l’autre selon les nécessités. La Chine est la bénéficiaire de ce double mouvement d’approfondissement et d’élargissement des BRICS.
Pour l’économiste Jim O’Neil, il s’agissait d’abord de singulariser quelques grands émergents à développement rapide et sur lesquels les clients de la Banque pouvaient investir au lendemain de l’éclatement d’une bulle des valeurs numériques, en attendant celle des sub-primes. Des valeurs de croissance, en termes boursiers.
Le raisonnement allait cependant plus loin que cette seule approche financière. Le système issu de la seconde guerre mondiale, dominé par les Occidentaux, surtout les Américains, devait s’adapter à la montée en puissance du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine.
Il fallait donc revoir la gouvernance mondiale en accordant une place plus grande aux nouveaux arrivants.
Cet assemblage a été accueilli avec un certain scepticisme. Mais, malgré son hétérogénéité, il a su préserver son existence et a trouvé une raison d’être supplémentaire avec la partition grandissante entre le Nord et le Sud.
Les BRICS, une hétérogénéité assumée
Mêlant démocratie et régime autoritaire, économie de marché et dirigisme économique, PIB lourds et PIB légers, entretenant des relations contrastées avec les pays occidentaux, les BRICS ont tout pour se défaire.
Cette disparité ne s’est pas effacée au fil des ans et même s’est accentuée sans provoquer d’implosion.
Ainsi, la Chine a connu pendant les 15 ans d’existence des BRICS, une croissance moyenne supérieure à 8 % ; contre 6 % pour l’Inde et des taux bien plus faibles, 2 à 3 % pour les trois autres membres. L’Inde réduit maintenant l’écart avec son puissant voisin ; mais, à lui seul, le PIB chinois pèse plus de deux fois les PIB combinés de ses partenaires. Les autres demeurent à la traîne.
Disparité économique, mais aussi politique. Bien qu’imparfaite, voire en recul, la démocratie reste la règle en Inde, au Brésil, en Afrique du Sud ; alors qu’en Russie la situation s’est dégradée et qu’en Chine le système s’est durci.
S’agissant des alliances et des relations bilatérales, les nuages ne se sont pas estompés entre certains membres. La Russie est pratiquement en état de co-belligérance avec les pays de l’OTAN et sous le coup de sanctions occidentales. Pourtant, excepté pour le recours au dollar, ses partenaires des BRICS n’appliquent pas les sanctions occidentales. Ils ont même accru leurs achats à la Russie, en contournant le dollar. Pour eux, il n’est de sanction universelle que celles adoptées dans le cadre de l’ONU.
Ainsi, la Chine a vu ses rapports avec Washington et, dans son sillage avec l’Europe, se tendre au plan économique. Avec la politique de découplage, rebaptisé pudiquement dé-risquage, menée par les États-Unis, suivis par l’Europe. Les échanges commerciaux et les investissements sino-occidentaux restent cependant à un niveau élevé, mais en décélération.
De son côté, le président LULA tient un discours offensif vis-à-vis de Washington, tandis que Narendra MODI réaffirme sa politique de multi-alignement et le refus d’être acculé à choisir entre deux camps.
Les relations de Delhi avec la Chine se sont dégradées du fait des combats à la frontière en 2021, mais, en adhérant au Quad, aux côtés de l’Australie, du Japon et des États-Unis, New Delhi n’entre pas pour autant dans une alliance militaire avec les États-Unis. Elle renforce sa main vis à vis de Pékin sans s’aligner ni même s’allier. L’attitude foncièrement protectionniste de l’Inde n’aide pas au plan des échanges commerciaux bilatéraux comme régionaux mais le principal problème bilatéral avec la Chine est celui du différend frontalier sur lequel les deux pays paraissent disposés à progresser. Un modus vivendi n’est donc pas à écarter.
Malgré ces profondes différences, les BRICS ont eu à cœur de maintenir leurs liens. Les heurts meurtriers dans l’Himalaya, l’invasion russe de l’Ukraine, la présidence du pro-Trump Bolsanero n’ont pas provoqué l’éclatement du groupe.
En effet, la volonté de prendre du champ vis à vis d’un Occident volontiers sûr de lui et dominateur, de réaménager un dispositif multilatéral qui fait la part belle à Washington et à l’Europe, les doubles-standards et l’unilatéralisme déployés au nom des grands principes (ou pas) fournissent les éléments d’un dénominateur commun suffisamment solide pour transcender les divergences.
La Chine offre, sinon une alternative, au moins un contrepoids utile à une Amérique ou à une Europe qui sont jugées comme mues par leurs seuls intérêts. Anita DUNN, Conseillère à la Maison Blanche, ne vient-elle pas de déclarer que l’effort financier pour les infrastructures au Sud était nécessaire pour que les États-Unis « dirigent le monde ». Ursula Van Der LEYEN avait tenu des propos assez semblables en début d’année, ne mettant en avant que les seuls intérêts stratégiques de l’Europe, pour faire face à la Chine.
(Retrouvez la suite de l’article demain 30 août)
Par Joseph Richard