Il est révélateur que le Communiqué de Johannesburg du 15ème Sommet des BRICS réaffirme que les énergies fossiles ont leur rôle à jouer dans la sécurité et la transition énergétiques, qu’elle condamne, à mots à peine couverts, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, que les droits au développement existent à côté des droits humains, flèches dirigées contre l’Union européenne, sans oublier les promesses non tenues quant à l’aide financière au Sud alors que l’argent coule à flots sur l’Ukraine. À cet égard, l’accent est mis sur les efforts de paix à fournir pour mettre fin à la guerre en Ukraine et non sur l’agression russe et la priorité sur la solution militaire pour sortir de la guerre.
Un autre facteur commun à ces pays est la condamnation de l’extraterritorialité du dollar. Même si ses positions s’érodent, la devise américaine demeure incontournable pour les transactions commerciales ou les réserves de change. Le passage par les mécanismes de compensation américaines est obligé permettant les sanctions et amendes au nom de lois américaines qui pourtant ne devraient pas s’appliquer aux tiers. La Banque française BNP Paribas a été ainsi frappée d’une amende de près de 9 milliards de dollars pour être intervenue dans une transaction concernant des pays sous sanctions américaines mais non françaises.
Le marché financier américain reste aujourd’hui incontournable; l’annonce de la mort du dollar est largement exagérée, mais des dispositifs se mettent en place pour le contourner dans certaines circonstances. Les BRICS -anciens et nouveaux- ont tous pris acte nationalement et dans le texte final de Johannesburg de cette volonté d’affranchissement du dollar, en promouvant les paiements en monnaies locales et à des réseaux interbancaires échappant à la main mise américaine comme SWIFT.
Les BRICS n’ont pas à Johannesburg attaqué frontalement le dollar. Car ils savent, outre les obstacles pratiques, qu’un système alternatif ne peut que reposer sur le renminbi avec la charge qui reposerait alors sur la Chine comme garant du système et les risques de double dépendance qui en résulteraient. En état de désespérance financière, l’Argentine acquitte aujourd’hui en renminbi ses échéances au FMI et, comme le Brésil, ses importations de Chine. Pékin détient actuellement près de 240 milliards de dollars sur des pays en proie aux difficultés de paiements au titre de swaps et banques, un apport peu éloigné des concours de cette nature du FMI.
Le cercle de famille s’agrandit
La question de l’élargissement a été un sujet difficile pour les BRICS. Celle de l’approfondissement l’était moins comme on pouvait le constater avec la multiplication des enceintes spécialisées, la création d’une Banque de Développement ou d’un mécanisme monétaire, des prises de positions sur les grandes questions internationales d’actualité.
Les non-membres n’étaient pas écartés des activités et pouvaient bénéficier de concours de la Nouvelle Banque de Développement mais, jusqu’à présent, les BRICS ne franchissait le pas d’accepter de nouveaux membres, sauf pour l’Afrique du Sud en 2011 pour faire entendre la voix de l’Afrique. La Chine comme la Russie étaient favorables à l’élargissement pour montrer aux États-Unis qu’elles ne sont pas isolées et bénéficient de relais. L’Inde y répugnait en revanche car elle craignait de peser moins dans une enceinte où son poids économique est le quart de celui de la Chine. Tandis que le Brésil ne voulait pas braquer le monde occidental avec lequel il entend garder de bonnes relations. L’Afrique du Sud suivait la Chine.
L’arrivée de LULA après la défaite électorale du pro-Trump, Bolsonaro et la difficulté politique de garder la porte fermée quand trop de monde s’y presse ont conduit à un élargissement sélectif à Johannesburg. Les marques d’intérêt étaient très nombreuses (une quarantaine) comme les demandes officielles d’adhésion (une vingtaine). À Johannesburg, six États ont été admis, six États dont le choix est politiquement significatif de la marque d’indépendance vis-à-vis des tabous de l’Occident et du renforcement du poids économique des BRICS+ passés de 5 à 11.
L’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis représentent le monde arabe et musulman. Ils pèsent lourd sur la scène moyen-orientale et sur les approvisionnements en hydrocarbures. La présence de l’Iran, récemment rabiboché avec Ryadh, témoigne du changement d’atmosphère au Moyen-Orient, avec un détachement progressif de Washington. L’Éthiopie, proche de la Chine et aux cent millions d’habitants, renforce le poids de l’Afrique et celui de l’Argentine d’une Amérique latine qui prend également ses distances avec son grand voisin du nord.
D’autres États d’importance manquent à l’appel, notamment ceux d’Asie du Sud-est. Mais si la pratique des BRICS+ se révèle concluante, le cercle s’agrandira où se renforcera. Le communiqué final a mis cela à l’ordre du jour du prochain Sommet, en Russie.
S’élargir, c’est pouvoir se fortifier mais aussi courir le risque de se diluer, de perdre en vigueur ce que l’on gagne en taille. On ne peut toutefois sous-estimer le poids que peut prendre cette enceinte agrandie.
Ce qui fait la force du camp occidental, c’est la prééminence des États-Unis et de règles communes bien établies. Donald TRUMP avait quelque peu chamboulé le jeu en agressant ses partenaires mais Joe BIDEN, plus diplomate et qui sait jouer sur les divisions entre ses alliés, a su le faire oublier. Qu’en sera-t-il, si, malgré ses procès en série, Donald TRUMP parvient à retrouver le bureau ovale?
Les pays du Sud se retrouvent dans la critique du système actuel, jugé dépassée et injuste, mais ne parviennent pas à s’entendre pour en proposer un autre ou pour soumettre ensemble, par exemple, un candidat indiscutable à des postes multilatéraux clés. Dans le domaine économique, les choses paraissent plus aisées, même si l’Inde maintient une attitude plus réservée que les autres et ne veut pas tomber en dépendance de la Chine.
A l’heure du découplage, de la fragmentation, de la relocalisation, la capacité du Sud à renforcer ses liens, ses complémentarités économiques est un facteur essentiel de rapprochement. Comme l’Asie a su le faire avec l’ASEAN qui arrive à dépasser les différences et les divergences de toute nature entre les dix États-membres, pour créer une zone d’échanges intenses entre États-membres mais aussi ses puissants voisins comme la Chine, le Japon, la Corée, les BRICS+ seront-ils capables de faire de la diversité un atout et non plus un frein? Les statistiques agrégées donnent souvent l’illusion d’unité et de puissance d’unités séparées : les BRICS+ représentent près de 50 % de la population et de 40 % du PIB du monde. La masse critique est là.
En tout cas, le Sud global entend ne plus accepter sans résister les prescriptions du Nord, que ce soit sur le climat, l’organisation du pouvoir au sein des institutions de Brettons-Woods, les droits humains et sur bien d’autres sujet qui nourrissent les 94 paragraphes de la Déclaration de Johannesburg.
C’est une donnée qui prend une dimension accrue et dont les pays occidentaux doivent tenir compte, même s’ils ne paraissent pas prêts à changer et si le conflit en Europe les absorbe.
Le dialogue Nord/Sud apparait plus que jamais nécessaire mais rarement aussi difficile. À la mi-septembre se tiendra le G20 en Inde qui peut fournir une telle occasion de dialogue, prélude à une série de Sommets en ce format qui sera présidé par le Brésil puis l’Afrique du Sud, tous membres des BRICS. G20 qui est présenté par les BRICS comme le Forum de référence pour la coopération financière et économique internationale.
Le prochain rendez-vous est maintenant très proche et sera un nouveau test de ces relations Nord/Sud.
À suivre….
Par Joseph Richard