Au XXe siècle, les nombreuses interventions américaines en Asie, en Afrique et en Amérique latine étaient motivées par la « théorie des dominos », développée par les stratèges et les ‘’think tanks’’ de Washington. Théorie selon laquelle « le basculement idéologique d’un pays en faveur du communisme serait suivi par le même changement dans les pays voisins, selon l’effet domino ».
Avec l’effondrement de l’Union soviétique et les grands changements stratégiques majeurs qui ont inauguré le XXIe siècle, la théorie des dominos, à l’instar de beaucoup d’autres, devenait caduque et obsolète. La multiplication des coups d’état en Afrique au cours des deux dernières années semble avoir tiré la théorie des dominos de l’oubli. En l’imposant désormais comme un instrument d’analyse, d’explication et de prévision des événements politico-militaires qui sévissent en Afrique.
Si l’on s’en tient aux deux dernières années, le premier domino tombé était le Mali, suivi peu de temps après par le Burkina Faso. Et alors que « la Communauté internationale » se penchait encore sur la manière de gérer la chute du troisième domino au Niger, on nous annonce dans la nuit du 29 au 30 août la chute du quatrième domino au Gabon.
Le point commun de ces quatre basculements est qu’ils ont eu lieu en Afrique francophone, au détriment de l’ancien colonisateur. Et de fait, la France est le plus grand perdant dans cette fièvre de coups d’état qui s’empare de l’Afrique.
Le plus inquiétant pour la France est que tous les coups d’état qui ont eu lieu jusqu’à présent ont été accueillis par des manifestations de soutien populaire où des manifestants en liesse brûlaient la bannière tricolore et agitaient le drapeau russe.
De nouveau à l’honneur, la théorie des dominos ne sert pas seulement d’instrument d’analyses pour les journalistes et les commentateurs. Elle alimente la perplexité, l’embarras et l’appréhension de la diplomatie française. Impuissante à réagir, celle-ci ne peut que se demander avec anxiété quand et où tombera le prochain domino?
Analystes et commentateurs sur les chaines arabophones, francophones et anglophones affichent leurs convictions que la théorie des dominos continuera de se vérifier en Afrique dans les jours, les semaines et les mois à venir. Ils n’hésitent pas à citer nommément le Tchad, l’Afrique Centrale, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Bénin, le Togo et même le Sénégal comme « prochains dominos à chuter ».
Mais revenons au quatrième domino qui vient juste de chuter. Le Gabon est un petit pays mais un grand exemple du Mal africain. 250 000 km² et deux millions et demi d’habitants, le pays regorge de richesses pétrolières, minières et forestières. Pourtant le tiers de la population vit dans l’extrême misère, la majorité dans la pauvreté et une infime minorité dans l’opulence indécente, gravitant autour de la famille Bongo.
Celle-ci tient le pays et accapare ses richesses depuis 1967, date de l’accession au pouvoir d’Omar Bongo. Il régna jusqu’en 2009 et son fils Ali lui succéda au pouvoir. Il y resta jusqu’au 29 août 2023.
En 56 ans de règne, la famille Bongo n’a fait que garder fidèlement les intérêts de la France et de garnir avidement et régulièrement ses propres comptes en banque dans les capitales européennes. Et ce, au détriment du développement du pays et des besoins élémentaires de la population.
Le vent de révolte qui souffle sur l’Afrique est alimenté par un ras-le-bol général des populations africaines de la longue collusion des élites gouvernantes avec les puissants intérêts étrangers, français en particulier; de la corruption endémique qui mine toutes les structures des États; du pillage systématique des richesses minières, énergétiques et forestières; de la marginalisation méthodique des centaines de millions d’Africains dont les pays sont devenus synonymes d’enfer…
La France, qui crie maintenant au scandale, n’a qu’à s’en prendre à elle-même. Elle cueille aujourd’hui ce qu’elle a semé des décennies durant en Afrique avec avidité, gloutonnerie et collusion avec les élites corrompues. Au lieu de reconnaitre ses erreurs et de changer radicalement de politique, la France, à travers les discours arrogants de son président, est en train de jeter de l’huile su le feu et d’accroître la haine que ressentent les foules africaines à son égard.
L’appel pathétique au secours lancé à travers une vidéo par Ali Bongo à « la Communauté internationale » est tombé dans des oreilles sourdes. Ce qui ne manquera pas d’accroître énormément l’inquiétude que ressentent déjà les élites gouvernantes en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Bénin et autre Cameroun…