L’économiste Ezzedine Saïdane est revenu sur le rôle de l’indépendance de Banque Centrale de Tunisie (BCT) vis-à-vis du pouvoir exécutif, en négligeant la protection de l’économie contre les errements financiers du gouvernement.
A cet effet, Ezzedine Saïdane souligne via sa page officielle comme suit:
La Banque Centrale de Tunisie (BCT) n’a pas compris que conformément à la loi de 2016 elle est indépendante vis-a-vis du pouvoir exécutif, mais qu’elle ne peut pas être indépendante vis-a-vis de l’État dont elle est une des structures importantes.
2- La BCT n’a pas compris que son indépendance vise à protéger l’économie et donc le pays contre les errements financiers éventuels du pouvoir exécutif. La BCT n’a pas compris que la monétisation (financement) du déficit budgétaire, soit directement soit par l’intermédiaire des banques, constitue un errement financier important du pouvoir exécutif.
3- La BCT n’a pas compris que la même loi de 2016 lui confère le rôle de conseiller financier de l’État. Ce rôle, à part quelques phrases dans les communiqués du conseil d’administration de la BCT, n’a jamais été mis en œuvre et ne semble pas avoir été une des préoccupations de la BCT.
4- La BCT n’a pas compris que sa politique monétaire doit être au service de l’économie. Ceci veut dire qu’avant de prendre n’importe quelle décision de politique monétaire, et notamment les augmentations du taux directeur, la BCT doit au préalable en évaluer l’impact sur la croissance économique, l’emploi et la création de richesses. Si la BCT persiste à dire qu’elle n’est responsable que de la lutte contre l’inflation prouve qu’elle n’a rien compris. Le résultat des différentes majorations du taux d’intérêt directeur est là: l’inflation n’est pas maitrisée, bien au contraire, et en plus nous avons un taux de chômage élevé, une croissance économique atone et une destruction systématique de richesses.
5- La BCT n’a pas compris que pendant la grave crise du Covid-19 la priorité était à la protection du tissu économique, et notamment les PME, et à la protection des emplois et que les conditions exceptionnelles de la pandémie nécessitaient des mesures exceptionnelles de politique monétaire. Mais là aussi la BCT n’avait rien compris et nous avait rappelé à plusieurs reprises que le rôle de la BCT se limitait à maîtriser l’inflation, qu’elle n’avait d’ailleurs pas réussi à maîtriser. En outre la crise du Covid-19 s’est soldée par la perte de dizaines de milliers d’entreprises et de dizaines de milliers d’emplois en plus d’une économie piégée dans une stagnation durable.
6- La BCT n’a pas compris que sa gestion de la parité du Dinar qui se résume en un soutien artificiel permanent du Dinar a abouti à un déficit abyssal de la balance commerciale et par conséquent à une montagne de dettes extérieures qui n’est pas gérée et qui semble échapper au contrôle de l’autorité centrale. Comme dans tout pays la monnaie nationale est une variable d’ajustement par excellence. Il est en effet préférable de laisser glisser la monnaie nationale plutôt que de faire subir à l’économie des dommages de plus en plus difficiles à réparer. La BCT n’a pas compris que l’on ne peut pas prétendre être le champion de la stabilité du Dinar dans une économie à la dérive. La stabilité artificielle du Dinar coûte excessivement cher en termes de déficit commercial, de dette extérieure, de croissance économique et de création d’emplois.
7- La BCT n’a pas compris que les majorations successives du taux directeur ont fini par étouffer l’investissement, et par conséquent la croissance économique et la création d’emplois. Ces augmentations n’ont servi qu’à enrichir davantage les banques. La BCT prétend augmenter le taux d’intérêt pour maîtriser la demande, mais elle n’a pas compris que la Tunisie souffre d’une grave insuffisance de la demande du fait de l’effondrement de la classe moyenne et de l’énorme perte de pouvoir d’achat. La politique monétaire de la BCT a fini par refroidir les trois principaux moteurs de la croissance: l’investissement, les exportations et la consommation.
8- La BCT n’a pas compris que parmi les rôles importants que lui confère la loi il existe un rôle qui revêt une importance capitale pour le financement de l’économie. Il s’agit de la supervision bancaire. Avec ces scandales qui surgissent ici et là au sein de notre système bancaire il y a lieu de se poser la question: où en est la BCT par rapport à ces scandales. Il faut savoir que les banques sont tenues d’envoyer à la BCT des rapports décadaires, mensuels, trimestriels, semestriels et annuels. Il faut savoir aussi que la BCT doit tenir au moins deux réunions par avec chaque banque afin d’examiner la situation de tous les dossiers de crédit. Il faut savoir que la BCT a un rôle de contrôle continu des banques sur documents et un rôle d’inspection sur site. La BCT peut-elle prétendre qu’elle n’était pas au courant de ce qui se passait dans les banques.
9- La BCT n’a pas compris que la qualité du portefeuille de crédits des banques est un élément essentiel de la gestion prudente des banques. Laisser les banques s’engager autant avec l’État (en Dinars et en devises) et avec les entreprises publiques au point où les grands équilibres des banques se trouvent aujourd’hui gravement menacés. Les crédits directs à l’État représentent aujourd’hui plus de 20% de l’ensembles des crédits des banques. Les crédits aux entreprises publiques, dont une partie est garantie par l’État, représentent aujourd’hui plus de 20% de l‘ensembles des crédits des banques, soit un total de plus de 40% du portefeuille de crédits des banques. Et avec une telle situation, les banques publient des résultats mirobolants qui ne reflètent en rien les menaces qui pèsent sur les portefeuilles de crédits des banques.
10- La BCT n’a pas compris que le rôle essentiel du système bancaire est de financer l’économie et non le déficit du budget de l’État. Aujourd’hui nous assistons à un phénomène grave d’éviction des entreprises qui n’arrivent plus à accéder aux financements bancaires puisque l’État a tout raflé, et la BCT laisse faire.
11- La BCT n’a pas compris que le fait de mettre à la disposition de l’État tous ces financements a permis au pouvoir exécutif de reporter indéfiniment des réformes qui sont aussi indispensables qu’inévitables et donc de priver le pays d’une reprise économique qui devient de plus en plus difficile à mettre en œuvre.
12- La BCT n’a pas compris que la monétisation du déficit budgétaire, c’est à dire le financement direct ou indirect du déficit du budget de l’État, est une injection de liquidités sans contrepartie que la BCT appelle « open market » ou « appel d’offres » ou « swaps » est en réalité de la planche à billets pure et dure qui engendre de l’inflation et qui contribue à la destruction des grands équilibres de l’économie tunisienne. La BCT continue à nier son recours massif à la planche à billets.
13- La BCT n’a pas compris que sa politique monétaire est à l’origine de la grave crise de liquidités que vit le système bancaire aujourd’hui.
14- La BCT n’a pas compris que sa politique monétaire a largement contribué aux 11 révisions à la baisse de la note souveraine de la Tunisie et aux multiples révisions à la baisse des notations des banques tunisiennes.
15- La BCT n ‘a pas compris qu’elle n’a pas été créée pour réaliser des bénéfices mirobolants sur le dos des entreprises et de l’économie en général, mais qu’elle a été créée pour donner au pays et à l’économie une politique monétaire efficace.
Voilà où nous en sommes aujourd’hui avec une dette publique non soutenable, des entreprises publiques à genoux, une économie qui ne produit plus de croissance, ne crée plus d’emplois et ne crée plus de richesses. Voilà où nous en sommes aujourd’hui avec une classe moyenne qui fond à vue d’œil et des pénuries de produits de base qui jettent le consommateur dans un désarrois total.
N.B. Nous sommes en septembre 2023:
– Où en est le rapport annuel de la BCT pour l’exercice 2022?
– Où en est le nouveau code des changes promis depuis plusieurs années?
– Où en est la transformation digitale de la BCT et des banques?