Le mouvement islamiste Ennahdha tiendra probablement son 11ème congrès en octobre prochain. Alors que le sort de Rached Ghannouchi, son président et leader historique, est de facto scellé. Un non-événement et à quoi faut-il s’attendre?
A quoi cela rime-t-il de tenir un congrès dans un avenir proche, s’interrogent certains partisans d’Ennahdha; alors que la direction historique du parti est quasiment décimée, les uns sont sous les verrous, d’autres assignés à résidence? Et au moment même où l’islam politique n’a plus le vent en poupe dans un monde arabo-musulman qui semble avoir tourné définitivement la page de cette sombre idéologie d’un autre temps, le parti de Rached Ghannouchi arrivera-t-il, tel un sphinx, à renaître de ses cendres? La tâche semble ardue, voire irréalisable.
Divisions
On notera qu’en l’absence des apparatchiks de la place Montplaisir, les Nahdhaouis sont divisés sur cette question. Les uns, contre vents et marées, tiennent à la tenue du 11ème congrès pour prouver que le parti islamiste n’est pas définitivement enterré. Tandis que les autres s’y opposent tant que la majorité de la direction du parti, dont le leader historique Rached Ghannouchi, se retrouve au fond d’une cellule à el Mornaguia.
Ainsi, dans un post publié samedi 26 août 2023, sur les réseaux sociaux, le lobbyiste et ancien membre du bureau politique du mouvement Ennahdha, Radwan Masmoudi, écrit : « Nous considérons toute tentative d’organiser le congrès dans ces circonstances comme une tentative de putsch contre la direction légitime et contre la ligne révolutionnaire et anti-putschiste au sein du mouvement ».
Mais, semble-t-il, la question a été tranchée. Ainsi, Belgacem Hassen, membre du bureau exécutif du mouvement Ennahdha, avoue que « la plupart de nos militants sont contre la tenue du onzième congrès, prévu en octobre. En considérant qu’il s’agit d’une “trahison“ envers les dirigeants actuellement emprisonnés. Toutefois, une autre partie des militants estime que le congrès consacrera la direction historique du mouvement ». C’est ce qu’il a affirmé, lundi 4 septembre 2023, sur les ondes de Diwan FM. Tout en ajoutant que le Conseil de la Choura, réunie dimanche 3 septembre 2023 jusqu’à une heure tardive, a voté in fine pour la tenue du congrès en octobre.
Toujours selon la même source, l’instance suprême du mouvement d’Ennahdha estime par ailleurs que l’assignation à résidence surveillée du président du Conseil de la Choura, Abdelkrim Harouni, « n’est qu’une tentative d’exercer des pressions sur le processus de réalisation du 11ème congrès du parti Ennahdha qui devrait avoir lieu très prochainement ». Soulignant que le Conseil de la Choura appelle les autorités compétentes à lever l’assignation à résidence surveillée de M. Harouni et à libérer l’ensemble des détenus politiques dans le cadre de l’affaire du complot contre la sureté de l’Etat, y compris les dirigeants nahdhaouis.
Un coup monté?
Pour rappel, Abdelkarim Harouni est l’un des dirigeants historiques d’Ennahdha, réputé être proche du leader du mouvement, Rached Ghannouchi. Il a été également ministre du Transport dans le gouvernement Hamadi Jebali, entre décembre 2011 et février 2013, avant de présider, en 2016, le Conseil de la Choura. Il a été assigné à résidence, samedi 2 septembre 2023, sur décision du ministre de l’Intérieur, Kamel Feki. Pour quel motif?
En effet, la décision prise par le ministre de l’Intérieur intervient alors qu’Ennahdha se prépare à la tenue de son prochain congrès. Et ce, sur la base de l’article 5 du décret du 26 janvier 1978, réglementant l’état d’urgence qui prévoit que : « Le ministre de l’Intérieur peut prononcer l’assignation à résidence dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée, de toute personne, résidant dans une des zones prévues à l’article 2 dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics desdites zones ».
« Un nouvel épisode d’atteinte à la démocratie et aux libertés en Tunisie ». Telle était la réaction immédiate du conseiller politique de Rached Ghannouchi et membre du Front, Riadh Chaibi. En effet, celui-ci, via un post publié samedi 2 septembre, accuse le pouvoir en place d’œuvrer « à exclure Ennahdha et à le paralyser à travers des démarches calculées : cela a commencé par l’arrestation du président du mouvement et de ses deux vice-présidents, puis par l’incarcération de dizaines de ses dirigeants, et ensuite par la fermeture de tous ses locaux ».
Et de conclure : « Le pouvoir s’en prend aujourd’hui à la plus importante structure décisionnelle du mouvement, à travers l’assignation à résidence de son président ».
Ennahdha « attachée au processus démocratique » !
Pour sa part, le bureau exécutif du mouvement Ennahdha s’est fendu d’un communiqué publié dimanche 3 septembre 2023, pour dénoncer ce qu’il appelle le « pouvoir putschiste » de mettre Abdelkerim Harouni en résidence surveillée « sans justifications légales ». Et ce, dans une tentative « de faire pression sur cette instance (le Conseil de la Choura NDLR) pour l’empêcher de poursuivre la préparation de la tenue du 11ème congrès du mouvement fin octobre prochain ».
Le même communiqué appelle les autorités à « revenir sur cette mesure injuste, contraire à la loi, aux traités internationaux et aux doits reconnus universellement de circulation et à l’action politique et civile ». Le tout, en réitérant, sans rire, « son attachement au processus démocratique » (Sic).
Vers une mutation historique?
Au final, à quoi servirait la tenue du 11ème congrès dans les circonstances actuelles? Probablement à enterrer définitivement l’ère de Rached Ghannouchi. Ce dernier aura atteint la limite des deux mandats successifs, ainsi que sa vieille garde composée de Ali Laarayedh ancien chef du gouvernement, ancien Premier ministre, impliqué dans l’affaire dite des réseaux d’embrigadement. Mais aussi de Noureddine Bhiri, président du bloc du parti islamiste Ennahdha au parlement et ancien ministre de la Justice, détenu depuis le 13 février 2023 et de Abdelkrim Harouni, fidèle parmi les fidèles.
Verra-t-on, à l’issue du 11ème congrès, l’émergence d’un parti new look enfin débarrassé d’une direction vieillissante? Cela est possible à condition que la nouvelle génération issue d’Ennahdha fasse le deuil de l’ère Ghannouchi, opte pour un vrai parti civil et coupe définitivement le cordon ombilical avec l’islam politique qui n’a semé sur son passage que ruines et désolation.