Face à un mouvement de reconfiguration sociopolitique, le paysage politique semble prendre une autre tournure. Néji Jalloul, président du parti de l’Alliance nationale et ancien ministre de l’Education du temps de Béji Caïd Essebsi, livre son analyse sur la situation politique en Tunisie.
Interview.
L’Economiste Maghrébin : Entre Ennahdha et la lutte pour l’héritage de Rached Ghannouchi, peut-on parler de la fin de l’islam politique?
Néji Jalloul : Oui, l’islam politique de type « frériste », c’est-à-dire le mouvement des Frères musulmans utilisé par les puissances occidentales associé au Printemps arabe, est fini. Pour la simple raison que le Printemps arabe est un sujet clos. Et il en va de même aujourd’hui pour l’islam politique sous sa forme « frériste ».
Mais l’islam politique sous sa forme conservatrice est une culture qui réside dans la société tunisienne conservatrice de droite, voire d’extrême droite. Il y a une lutte entre le président de la République et ce qui reste d’Ennahdha pour la suprématie de cette population conservatrice qui sera déterminante pour la prochaine élection présidentielle.
Alors peut-on parler d’une nouvelle reconfiguration du paysage politique entre la branche du mouvement islamiste Ennahdha, les conservateurs et les pro-Kaïs Saïed ?
Kaïs Saïed est un conservateur, sa vision de la question de l’égalité dans l’héritage en dit long. Sa position vis-à-vis de la peine de mort également. Ce n’est pas péjoratif. La société tunisienne est essentiellement conservatrice. D’ailleurs, quand j’étais à la tête de l’Ites, nous avons effectué un sondage selon lequel 30% des Tunisiens sont des nahdhaouis, et plus de 40% ne sont pas des conservateurs.
J’ajouterais que 70% des femmes sont contre l’égalité dans l’héritage. Cela dit, la société tunisienne n’est pas « frériste », mais conservatrice. Les Tunisiens sont par nature conservateurs. Lisez Charles Bonnet, philosophe genevois, qui revient sur les Méditerranéens qui sont des conservateurs anti-révolutionnaires.
D’ailleurs, les grands bouleversements de l’histoire humaine sont faits par les nomades, les Han. Et puis, rappelez-vous que le vote féminin est toujours conservateur, lequel est toujours essentiel en Tunisie.
La Tunisie fait face à une crise économique marquée par une inflation galopante. Quels sont les mécanismes pour que la Tunisie puisse se recentrer sur ses intérêts nationaux et rétablir ses relations internationales ?
Tout d’abord, il faut arrêter de vendre du rêve ou des chimères aux Tunisiens: l’économie est quelque chose de rationnel. L’inflation en Tunisie est essentiellement importée. Aujourd’hui, nous avons besoin de solutions en Tunisie, et elles existent.
Lesquelles ?
Il y a plusieurs points essentiels pour aider la Tunisie à faire face à sa crise économique et à rétablir ses relations internationales.
Pour commencer, il faut élargir la base de la fiscalité et réduire la fiscalité excessive sur certaines industries. Intégrer l’économie parallèle à l’économie nationale en mettant en place des politiques efficaces. Encourager le secteur bancaire à soutenir les jeunes entrepreneurs. Examiner des réformes comme l’open sky et la privatisation de certaines entreprises publiques. Supprimer les obstacles à l’innovation financière, y compris l’adoption de technologies telles que les paiements mobiles et les banques électroniques. Explorer des opportunités pour développer des industries basées sur des ressources naturelles locales, comme le sel, l’huile, le phosphore et les figues de Barbarie. Réorienter l’agriculture vers des cultures plus adaptées à la disponibilité en eau et aux besoins locaux. Ces mesures, combinées à une vision à long terme axée sur le développement durable, pourraient aider la Tunisie à surmonter ses défis économiques et à renforcer ses relations internationales.
En résumé, faire de véritables industries à base de sel, d’huile, de phosphate, de gypse, de figues de Barbarie et avoir le courage de Fidel Castro : remplacer la canne à sucre par le riz. Et surtout revoir la carte agricole du pays.
Êtes-vous intéressé par l’élection présidentielle de 2024 ?
Personnellement, je ne suis pas particulièrement intéressé. Cependant, j’ai proposé quelque chose dont ce pays a grandement besoin : sa reconstruction. Ce pays a été profondément affecté, et nous avons tous contribué à sa détérioration.
Par conséquent, il est essentiel que toutes les forces politiques, les partis, les syndicats, voire le pouvoir, parviennent à un consensus sur le choix d’un président. Un président rassembleur qui ne divise pas entre traîtres et patriotes, un président qui considère qu’un citoyen ayant une seule identité est tout autant un nationaliste, un président à qui nous pourrions confier un projet de réformes éducatives, en respectant les compétences, et qui nommerait un gouvernement basé sur les compétences nationales.
Ce gouvernement ne serait composé ni de ses élèves, ni de ses amis proches, ni de membres de sa famille.
Il devrait avoir une solide compréhension des enjeux mondiaux, posséder une culture économique de l’État, et ne pas se contenter de discours creux. D’ailleurs, il ne devrait pas être un simple vendeur de bonnes paroles.
Je suis prêt à soutenir toute personne qui s’engage dans cette direction.
Avez-vous quelqu’un en tête ?
Plusieurs personnes sont capables de devenir présidentes. J’ai fait part de cette initiative à Fadhel Abdelkefi, à Hatem Mliki -qui est un individu remarquable; j’ai eu des discussions avec Lotfi Mraihi, et j’ai approché Olfa Hamdi. J’ai même proposé cette idée à Abdellatif Mekki – car je ne suis pas partisan de l’exclusion, même si ce sont des islamistes. Ils sont Tunisiens comme moi. La seule personne qui a refusé ces discussions est Abir Moussi.