« L’Autonomie de la Banque centrale ne veut pas dire l’indépendance par rapport à l’Etat ». C’est ce qu’a décrété le président de la République, Kaïs Saïed, lors de sa visite vendredi dernier au siège de la BCT. Or, faut-il rappeler que la principale différence entre les deux concepts, réside dans le degré de liberté de décision de la Banque centrale par rapport aux pressions politiques externes.
Question récurrente : le président de la République, Kaïs Saïed a-t-il l’intention, probablement sur conseil de son Premier ministre, Ahmed Hachani, un ancien juriste de la vénérable institution, de remettre en question l’indépendance de la Banque centrale? Un statut chèrement acquis par la promulgation de la loi de 2016 ayant accordé à cet Institut d’émission une plus grande autonomie dans la formulation et la mise en œuvre de la politique monétaire. Sachant que la dite loi aura créé un cadre institutionnel solide, limitant l’ingérence du gouvernement dans les affaires de la BCT et garantissant sa capacité à poursuivre des objectifs de stabilité des prix.
Pour preuve, deux paragraphes entiers sont ainsi dédiés à l’indépendance de la « banque des banques ». L’article 2 dispose à cet effet que « la Banque centrale est indépendante dans la réalisation de ses objectifs, dans l’exercice de ses missions et dans la gestion de ses ressources ». Et que « nul ne peut porter atteinte à l’indépendance de la Banque centrale, ni influencer les décisions de ses organes et ses agents dans l’accomplissement de leurs fonctions ».
Une visite réellement inopinée
« L’autonomie de la Banque centrale ne veut pas dire l’indépendance par rapport à l’Etat. Il doit y avoir une harmonie avec les politiques de l’Etat. L’autonomie est en rapport avec les politiques monétaires, mais cela ne peut être valable pour le budget de l’Etat ». Ainsi, s’exprimait le chef de l’Etat lors de la visite inopinée qu’il a rendue vendredi dernier au siège de la BCT où il fut reçu par le vice-gouverneur, Nadia Gamha. Et ce, avant l’arrivée tardive du gouverneur de la Banque centrale Marouane Abassi. Lequel était au siège du gouvernement et s’en excusait presque, alors qu’il ne faisait que son devoir.
Or, cette visite matinale réellement inopinée mérite qu’on s’y arrête. Primo, parce que M. Abassi n’en était pas au courant, la preuve c’est qu’il est arrivé 20 minutes en retard. Secundo, l’entretien diffusé dans la soirée du vendredi dernier a été particulièrement long (45 minutes de vidéo). Tertio, fidèle à ses habitudes, le locataire du palais de Carthage, ne semblait pas écouter les tentatives d’explication de ses interlocuteurs, des experts dans leur domaine. Ce qui ne les met pas dans la meilleure des situations.
« Autonome mais pas indépendant »
Sur un autre volet, et c’est certainement le but de la visite présidentielle au siège de la Banque centrale, le Président a recadré sèchement Nadia Gamha qui louait la cohésion entre les différents services de la BCT. Et ce, en insistant sur la nécessité de faire la distinction entre l’autonomie et l’indépendance de la BCT : « Vous évoquez l’harmonie entre les différents départements de la BCT, mais vous omettez celle qui doit figurer entre la BCT et les politiques de l’Etat. »
Puis il a insisté : « Le rôle principal de la BCT était de maîtriser l’inflation. Toutefois, il est nécessaire d’améliorer et de faire évoluer les textes juridiques afin que la banque puisse jouer pleinement son rôle, en tant qu’établissement public, autonome, mais non indépendant de l’État ». La couleur est clairement annoncée!
Et d’asséner sur un ton qui n’admet pas de réplique : « Il faut faire la différence entre l’indépendance dans le volet monétaire et dans le volet budgétaire. Ce qui n’est malheureusement pas bien compris par certains. »
Une manière d’avertir que désormais, le rôle de la BCT se limite à la simple gestion de la politique monétaire et que c’est le gouvernement qui est dépositaire de la prérogative budgétaire. Cela veut-il dire pour faire simple que c’est la Banque centrale qui devra à l’avenir financer l’abyssal déficit budgétaire?
Un signe qui ne trompe pas : le Président n’a pas manqué de rappeler qu’il était « absurde » que l’Etat eut recours aux banques commerciales pour emprunter et les rembourser avec des intérêts. En clair cela reviendra à ce que l’Etat puisse emprunter directement auprès de la BCT, sans passer par les banques commerciales qui « gagnent ainsi beaucoup d’argent sur le dos de l’Etat ».
Au cœur de la politique
Alors, le pouvoir en place songe-t-il à revisiter l’indépendance de la Banque centrale? Pourtant, le ministre de l’Economie et de la Planification, Samir Saïed, n’a-t-il pas affirmé- mercredi 24 mai 2022 à Bloomberg, en marge des assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD) à Sharm Cheikh en Egypte- que le gouvernement « n’a pas l’intention de changer le statut de la Banque centrale de Tunisie, ou d’attenter à son indépendance »? Tout en qualifiant ce qui se dit au sujet de la réduction des prérogatives de l’Institut d’émission, de « propos vides de sens ».
Disons pour résumer que l’indépendance de la BCT réside dans le fait que le mandat principal de la « banque des banques » se situe à la lisière du politique, sinon au cœur du politique. D’où la tentation de la part du pouvoir politique de faire main basse sur l’ultime rempart contre ses propres politiques.