L’information figure à la Une de tous les médias européens : cinq eurodéputés envoyés par la Commission des Affaires étrangères relevant du Parlement européen sont considérés par les autorités tunisiennes comme persona non grata. Les réactions à Strasbourg ont été virulentes.
Nouveau rebondissement dans les relations tumultueuses entre la Tunisie et le Parlement européen, l’organe parlementaire de l’Union européenne (UE) élu au suffrage universel direct, dont le siège est à Strasbourg. Et ce, suite à la décision prise par le ministère des Affaires étrangères de refuser l’accès au territoire tunisien à cinq eurodéputés appartenant à la délégation de la Commission des affaires étrangères du Parlement européen qui devait arriver en Tunisie hier jeudi 14 septembre 2023 pour une visite de deux jours.
A savoir que la décision tunisienne qui peut virer à l’incident diplomatique n’est pas sans précédent. Déjà en mai 2022, la Commission de Venise a été également refoulée pour avoir publié un rapport critique sur la tenue d’un référendum sur la Constitution en Tunisie le 25 juillet 2022. Un acte considéré à l’époque comme une ingérence dans les affaires internes de la Tunisie.
Quelles réserves au juste ?
Composée d’eurodéputés, des parlementaires européens membres de la Commission des affaires étrangères, en l’occurrence Michael Gahler, Dietmar Köster, Salima Yenbou, Mounir Satouri et Emmanuel Maurel, la délégation européenne devait rencontrer notamment des organisations de la société civile, des ONG, des syndicats et des dirigeants politiques de l’opposition. Et ce, pour discuter de l’aide financière et afin de mieux évaluer le mémorandum d’entente signé en juillet entre l’Europe et la Tunisie.
Entre temps, l’institution de Strasbourg recevait la veille du départ de la délégation une correspondance émanant du ministère tunisien des Affaires étrangères stipulant que « malgré les multiples réserves à son égard, cette délégation ne sera pas autorisée à entrer sur le territoire tunisien ». Et ce, sans toutefois préciser la nature de ces « réserves ».
« Nous avons demandé à rencontrer toute la Tunisie : le Premier ministre et son gouvernement, l’Assemblée tunisienne, la société civile, les syndicats comme l’UGTT, le secteur privé, ainsi que les familles des prisonniers politiques. Tout le monde a répondu positivement à nos demandes de rencontres pour écouter et échanger avec les Tunisiens ». C’est ce qu’à déclaré l’eurodéputée Salima Yenbou en s’étonnant que le gouvernement « ait changé d’avis il y a quelques jours sans expliquer concrètement quelles étaient les “réserves” dont la lettre des autorités tunisiennes faisait vaguement mention ».
La députée qui déplore une « décision grave et contreproductive », appelle toutefois « à ne pas laisser tomber la Tunisie ».
Ursula von der Leyen dans ses petits souliers
A noter que le refoulement la délégation risque de mettre la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans une position peu enviable. Elle qui venait il y a deux mois de vanter le partenariat stratégique conclu en juillet avec la Tunisie. Et ce, en promettant d’élargir des accords similaires avec d’autres pays.
Faut-il rappeler à cet égard que 12 Etats membres de la Commission européenne se disent « ne pas informés de la démarche ». A savoir celle entreprise par la Troïka européenne composée de Ursula von der Leyen et des chefs de gouvernement italien Giorgia Meloni et néerlandais Mark Rutte. Sans omettre les représentants allemands qui considèrent que la question des droits de l’Homme est un « préalable à tout accord entre l’UE et ses partenaires ».
Réactions outragées
« Un outrage », s’est écrié le vice-président du groupe socialiste et démocrate au Parlement, Pedro Marquez, pour qualifier le refus d’accueillir les eurodéputés. Il a ainsi invité Von der Leyen « a mettre fin aux discussions avec Tunis autour de l’application du mémorandum ».
Un avis partagé par l’eurodéputée centriste néerlandaise Sophie in ‘t Veld. Puisque celle-ci a déclaré que la décision du gouvernement tunisien n’était « en aucun cas surprenante». Et d’ajouter : «À quoi s’attendaient-ils? L’accord échoue déjà, il n’a aucune base juridique appropriée et il coûte beaucoup d’argent aux contribuables. »
Même son de cloche de la part du parlementaire européen, membre de la Commission des affaires étrangères Mounir Satouri. En effet, ce dernier appelle « la Tunisie, son gouvernement et son Président, au dialogue. À garder vivant l’esprit d’ouverture qui est la marque de fabrique du peuple tunisien. Nous restons inlassablement au côté du peuple tunisien et de ses démocrates ».
Rappelons enfin que la délégation de la Commission des affaires étrangères du Parlement européen s’est fendue, jeudi 14 septembre 2023, d’un communiqué pour critiquer le refus de la Tunisie de la laisser entrer dans le pays.
« Nous condamnons la décision des autorités tunisiennes de refuser l’entrée à la délégation de la Commission des affaires étrangères du Parlement européen et exigeons une explication détaillée. Cette conduite est sans précédent depuis la révolution démocratique de 2011 », lit-on dans cette déclaration.
« Nous restons convaincus, comme l’exige l’UE depuis juillet 2021, que la situation économique et sociale désastreuse en Tunisie, encore aggravée par la crise humanitaire, nécessite de toute urgence un dialogue national global sans lequel les perspectives d’un développement politique et économique stable en Tunisie restent incertaines », ajoute la même source.
Disons pour clore ce dossier que la décision prise in extremis par les autorités tunisiennes risque de compliquer les relations, déjà houleuses entre l’Union européenne et la Tunisie. Pouvons-nous dans l’état actuel des choses nous permettre ce luxe? La réponse coule de source…