Au final, on ne voit plus très bien qui est satisfait de la loi de finances pour 2023. Pourtant, on avait cru comprendre que le texte avait été finement élaboré par le gouvernement Bouden, qui disait avoir trouvé les meilleures des solutions aux pires de nos problèmes économiques.
Toujours est-il que c’est vrai que la loi de finances en question n’a pas encore été adoptée par le Parlement, censé être une instance législative souveraine et représentative du peuple tunisien. Il avait même été dit que l’Etat recherchait désespérément à retrouver les équilibres de nature à relancer le char du même Etat, empêtré dans les dettes et quelque part incapable d’honorer ses promesses. Mais comme la partie la plus visible de l’iceberg est toujours la hausse vertigineuse du coût de la vie, tous les autres détails sont passés à la trappe et on a eu droit à une démonstration populaire en tous points semblable au 14 Janvier de l’an zéro de la révolution.
Entre-temps, les accusations mutuelles de mauvaise foi et d’hypocrisie ne fournissent pas vraiment de solution. La République, et le char de l’Etat, manquent d’argent quand les attentes sont multiples et toutes plus urgentes les unes que les autres. Alors, il est tentant de se tourner vers les bijoux de famille, notamment les bijoux qu’on dit spoliés et qu’on cherche désespérément à récupérer. Si on les retrouve, bien sûr. A priori, les bijoux ont été démantelés, vendus et revendus en pièces détachées.
Dans le cas présent, des questions se posent sur la possibilité de mettre fin à la pénurie en criant au scandale et en accusant les cartels de pousser aux dérapages du pouvoir avec l’envie inavouée de rappeler les vieux démons du passé. En fait, passée la ferveur « juilletiste », les temps sont au « réalisme ». On réalise qu’il y a une remise en question, plus ou moins feutrée, de la démocratie. Une question qui n’est plus désormais un tabou.
C’est là une réalité. La Tunisie réelle telle que l’observent les Tunisiens dans leur quotidien. Les Tunisiens qui font la queue pour acheter des baguettes de pain, qui font face à des pénuries de médicaments, de thé, de café et divers autres produits dont l’importation est exclusivement gérée par l’État. Déjà que le commun des Tunisiens désavoue les politiques. Toutes les tentatives visant à inverser cette chute vertigineuse de la confiance risquent d’être vaines au moment où il faut justement se retrousser les manches pour sortir la tête de l’eau et gagner au moins la guerre de l’indépendance alimentaire. En ce moment, tous les indicateurs sont au rouge, avec une tendance avérée à l’accélération de la descente aux enfers. Et pour cause; le pays a connu des récoltes de céréales désastreuses ces dernières années. A croire qu’il y a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond.
Curieusement, ce qui devait contribuer à faire tourner la roue de la fortune, la dimension essentiellement agricole du pays, tourne justement à l’envers, sans qu’on nous dise ni pourquoi ni comment inverser l’ordre des choses. L’urgence est d’autant plus avérée que le pays commence à se poser de sérieuses questions au sujet des potentialités en eau. Le déficit pluviométrique de l’année agricole en cours risque en effet de creuser les déficits et d’aggraver le renchérissement des produits de la terre. Le sentiment général de cherté de la vie est toujours rattaché à cette symbolique du couffin de la ménagère, de plus en plus difficile à garnir en produits de consommation courante, en particulier les produits de l’agriculture. Inutile aussi de dire que c’est l’un des secteurs capables de créer de l’emploi. Ce qui n’est pas peu en ce moment.
Le déplacement en masse des populations de la campagne vers les villes est toujours une mauvaise idée. Pour le moment, les promesses de développement prennent beaucoup de retard, ce qui risque d’aggraver la situation et les déséquilibres structurels. En tournant la roue, on peut avancer, mais aussi aller à reculons.
Cet article est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n°877 du 13 au 27 septembre 2023