Signe qui ne trompe pas, la circulation au centre-ville a repris de plus belle. Après deux mois de vacances et un pays qui tourne au ralenti, la reprise commence petit à petit. On parle de la rentrée. La rentrée des classes qui nous concerne tous, mais aussi de la rentrée économique avec un budget 2023 complémentaire qu’on doit absolument finaliser, histoire de limiter la casse et de faire face à la crise financière, à l’inflation et à la pénurie qui touche de plus en plus de matières essentielles. Il y a aussi la rentrée politique qui s’annonce, somme toute, assez chaude, avec à la clé des élections régionales début décembre et, éventuellement, présidentielles fin 2024. Des élections qui devront asseoir un processus politique entamé depuis juillet 2021.
Autant de sujets sur lesquels on va s’arrêter. En attendant une annonce des concernés, notamment du gouvernement, qui a choisi de ne pas communiquer, on s’est adressé à Neji Jalloul, président du parti de la Coalition nationale. Au-delà de sa casquette politique, il a été aussi ministre de l’Education et directeur de l’Institut tunisien des études stratégiques Selon notre interlocuteur, la rentrée s’annonce ardue. La crise économique y est pour quelque chose. Une crise dont l’impact social est à craindre. Il y a la perspective que « tout le monde est contre tout le monde ».
Ancien ministre de l’Education et ancien directeur de l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES), l’archéologue et professeur universitaire Neji Jalloul est un interlocuteur intéressant lorsqu’on parle de rentrée, celle de l’école bien sûr pour le professeur et ancien ministre. Et celle aussi économique et sociale, puisqu’il a chapeauté plusieurs études sur le sujet à l’ITES. Avec lui, , on parlera également de rentrée politique. Sur le sujet, il en connait un brin…
La rentrée, c’est d’abord celle des écoles. En tant qu’ancien ministre, comment la voyez-vous ? On parle d’une réforme. Est-ce la bonne cette fois-ci ?
De par mon expérience, je peux dire aujourd’hui que le problème de l’enseignement en Tunisie se situe au niveau de l’école primaire. Pour ce secteur, on a fait un choix, et ce depuis Ben Ali, le choix du recrutement social. On a essayé de résoudre le problème du chômage par l’éducation, avec le recrutement de personnes non qualifiées. Pourquoi dans les années 70 on avait une excellente école primaire? Parce qu’on recrutait des normaliens et des zeitouniens qui maniaient très bien la langue arabe. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. De ce fait, les élèves ne bénéficient plus d’une base d’enseignement solide. Et ce qui n’est pas bâti sur du solide ne peut pas le devenir après.
C’est donc le premier problème de l’éducation. Le deuxième problème concerne les salaires. On a, dans l’enseignement, les plus bas salaires. Pire encore, ces salaires sont un vrai drame lorsqu’on parle des auxiliaires. C’est vrai, par ailleurs, que l’enseignant en Tunisie travaille 15 heures par semaine. On ne trouve cela nulle part ailleurs. En Allemagne, à titre d’exemple, l’instituteur fait 40 heures. Je me souviens, lorsque j’étais ministre, avoir proposé de doubler le salaire et d’augmenter les heures d’enseignement à 25 heures. Mais ça n’a pas marché. Et à ce propos, je signale qu’une partie du problème de l’enseignement en Tunisie revient aux syndicats. C’est pour cela que j’affirme que cette rentrée ne sera vraiment pas différente des précédentes, du moment qu’on est face aux mêmes problèmes. On ne peut pas avoir une école plus évoluée que ses enseignants, de même qu’on ne peut avoir une société plus évoluée que son école.
Plus concrètement, avec le bras de fer entre le ministère et les syndicats, est-ce que vous pensez que la rentrée se passera bien ?
Je pense que le ministre a gagné, il n’y a plus de bras de fer avec les syndicats. Cela dit, je pense que la rentrée se fera avec des instituteurs et des professeurs humiliés, avec un sentiment profond d’injustice. Et ce n’est pas vraiment une bonne chose. Il faut savoir aussi qu’un enseignant n’est pas un fonctionnaire. C’est un éducateur qui transmet des valeurs aux enfants. Un enseignant humilié, déprimé, transmettra ce sentiment de cassure à ses élèves. C’est cela qui m’inquiète.
Extrait de l’interview du Mag de l’Economiste Maghrébin n 877 du 13 au 27 septembre 2023
Par M.A.B.R