e« Des mesures seront prises pour que les deux chaînes deviennent au minimum nationales et ne se dérobent pas derrière le prétexte d’une soi-disant ligne éditoriale ». C’est ce qu’a annoncé le président de la République Kaïs Saïed, lundi 18 septembre, dans son réquisitoire implacable contre les deux chaînes de télévision publiques Watanya 1 et Watanya 2. Prélude à une pression sur les médias publics en prévision de la campagne préélectorale pour l’élection présidentielle de 2024?
Le contenu, le traitement médiatique, la partialité de l’information et son agencement ainsi que la ligne éditoriale du Journal de 20h diffusé sur les chaînes publiques sont dans la ligne de mire du président de la République, Kaïs Saïed.
Déjà, le vendredi 4 août 2023, le chef de l’État reçut Awatef Daly, la PDG de la Télévision tunisienne au palais de Carthage, pour la sermonner, publiquement et devant des millions de téléspectateurs, sur la programmation au sein de la TV nationale. Sous prétexte que la priorité donnée à plusieurs programmes mais aussi au contenu des bulletins d’information « est loin d’être innocente ».
Diatribe partisane
Et d’enfoncer le clou : « Ceci n’est pas une ligne éditoriale mais c’est celle des forces qui s’opposent à la liberté et au mouvement de libération nationale dans lequel nous devons tous nous inscrire ». Retour à la théorie de conspiration, chère au président de la République qui en voit partout.
Bis repetita. Lors d’une réunion, lundi 18 septembre 2023, au Palais de Carthage avec le chef du gouvernement Ahmed Hachani, le ministre de l’Intérieur Kamel Feki et la ministre de la Justice Leila Jaffel, Kaïs Saïed s’est attaqué à nouveau à la ligne éditoriale des deux chaînes de télévision publiques Watanya 1 et Watanya 2.
« Nous sommes réunis aujourd’hui pour aborder un sujet occulté par les médias supposés être nationaux. Ces médias parlent chaque jour de crises, qui peuvent être réelles comme elles peuvent être le fruit de leur imagination, afin d’envenimer davantage la situation dans le pays ». Ainsi affirme le Président qui semble accuser les médias publics de manipuler l’opinion publique. Au profit de qui?
Un silence troublant, selon Kaïs Saïed
Et de donner l’exemple du télé-journal de 20 heures du dimanche 17 septembre sur la chaîne nationale. A cet égard, il estime que les journalistes ont passé sous silence des événements importants survenus ces derniers jours. « En dépit des efforts considérables déployés par les forces de sécurité et l’armée pour démanteler plusieurs réseaux criminels impliqués dans la traite des êtres humains et le trafic d’organes », argue-t-il.
Et ce, pour se focaliser, a-t-il insisté, sur « la hausse des prix de la rentrée scolaire, les jardins d’enfants, puis de quelques bulletins internationaux, pour finir avec la météo. Comme si les opérations effectuées par les forces sécuritaires et militaires n’avaient pas eu lieu en Tunisie, alors que leurs actions sont sans précédent. Mais cela n’a aucune trace sur notre chaîne nationale », déplorait le locataire du palais de Carthage.
Apparemment, le chef de l’Etat fait allusion aux opérations menées par les forces sécuritaires et militaires, samedi et dimanche, pour « nettoyer » le centre-ville de Sfax de la présence des migrants subsahariens.
Revenant à la charge contre les chaînes publiques, le Président accuse ces médias « de fonctionner comme ils avaient pris l’habitude de le faire depuis des décennies. Soit ils flattent, soit ils couvrent des manifestations n’impliquant que quelques dizaines de personnes tout au plus. S’ils veulent axer sur la réalité, ils doivent se concentrer sur toutes les réalités ».
Menaces
Et de conclure sur un ton qui ne prête pas à confusion : « Il y a un travail qui va être effectué prochainement pour les deux chaînes nationales. Il n’y a pas de ligne éditoriale! Nous voulons libérer la patrie. Ils doivent s’impliquer dans cette libération et ils n’ont pas à s’impliquer avec ceux qui veulent hypothéquer et vendre le pays. Toutes les images qui vont suivre ont été absentes de leurs écrans ».
D’ailleurs, dans une vidéo partagée par les services de la présidence de la République, une série de photos montrait la situation catastrophique des migrants subsahariens en Tunisie, les conditions inhumaines dans lesquelles ils vivent dans la ville de Sfax, ainsi que les embarcations de fortune destinées aux opérations illégales de franchissement.
« Tout cela n’a pas trouvé place dans les deux chaînes nationales, la première et la seconde, alors que des photos et des vidéos relatives à ces faits leur ont été remises ». C’est encore ce que déplore le président Kaïs Saïed. Tout en avertissant que « des mesures seront prises pour que ces deux chaînes deviennent au minimum nationales et ne se dérobent pas derrière le prétexte d’une soi-disant ligne éditoriale ».
Cette menace à peine voilée laisse donc entendre des changements imminents dans le paysage médiatique et que des têtes vont tomber prochainement dans les deux chaînes publiques. Cela sous-entend-il désormais que la ligne éditoriale se fera au nom de la « libération » de notre pays?
Et la neutralité des médias nationaux, des organes financés par le contribuable, dans tout cela? On le saura dans les mois sinon les semaines à venir.