« La cause initiale du dernier blackout est l’amorçage au niveau des postes haute tension de la centrale de Radès, causé par un taux d’humidité très élevé de 90 % ». C’est ce que déclare, ce jeudi 21 septembre, le PDG de la Société tunisienne d’électricité et de gaz (STEG), Hichem Anane.
« Les équipes de la STEG se sont appuyées sur le réseau algérien connecté avec la Tunisie pour faire redémarrer progressivement les centrales nationales de production ».
Ainsi, dans la nuit du mardi 19 au mercredi 20 septembre, une coupure générale d’électricité survenue à 1h30 a plongé la Tunisie dans un black-out total. Malgré les déclarations officielles évoquant des raisons techniques derrière cette panne, ce blackout a suscité une vive polémique sur les réseaux sociaux.
Plus de 24 heures après la coupure générale d’électricité survenue dans tout le pays, quelles sont les raisons exactes de cette panne?
Tout juste après l’incident, la priorité pour la STEG a été donnée au rétablissement de l’électricité. Et dès que celle-ci a été rétablie, nos équipes déployées sur tout le territoire ont commencé à collecter toutes les données disponibles à travers le réseau pour identifier les causes derrière cette panne.
Les premières constations ont révélé que la cause initiale de la panne générale était l’amorçage au niveau des postes Haute Tension de la centrale de Radès à cause d’un taux d’humidité très élevé ayant atteint les 90 %.
Cet amorçage est responsable de l’arrêt automatique des trois centrales de production de Radés, causant une perte d’environ 875 mégawatts au niveau de ces centrales, face à une demande globale de l’ordre de 3226 mégawatts.
Le plan de défense automatique visant à compenser cette perte a été déclenché. Mais vu la rapidité de l’incident (4 secondes entre la panne et le blackout total), la capacité des autres centrales nationales de production (Sousse, Gabès…) a été dépassée et la fréquence s’est écroulée en-dessous du seuil de 47,5 Hz, limite de fonctionnement autorisé des centrales, donnant lieu au blackout.
Un rapport préliminaire sur cet incident appuyé par des enregistrements, des photos et toutes les données techniques disponibles sera bientôt communiqué.
Comment est-ce que cette panne a été rétablie?
Se basant sur l’expérience du blackout de 2014, nos équipes ont opté pour la solution qui pouvait le plus nous faire gagner du temps. Elles se sont donc appuyées sur le réseau algérien connecté avec la Tunisie pour faire redémarrer progressivement les centrales nationales de production.
L’objectif essentiel était de reconstituer le système électrique en faisant redémarrer ces centrales, en vérifiant les lignes de haute-tension; mais aussi en rétablissant le système de transport d’électricité et les stations de distribution moyenne et basse tensions.
Vers 03h35 de la journée de mercredi 20 septembre 2023, nous avons repris les volets production et transport, et commencé la reconstitution progressive du reste du système. A 6h00, l’électricité à été rétablie au profit de 95 % des abonnés à travers les bureaux de conduite régionale, à l’exception d’un nombre limité de zones où le rétablissement automatique n’a pas pu avoir lieu à cause de certaines pannes. Ce qui a nécessité des interventions manuelles de la part de nos équipes. Vers 12h00, 99 % du système a été fonctionnel, à l’exception de certaines zones (Lac, Ain Zaghouan…) qui ont été réalimentées vers 22h.
Le déficit énergétique qu’accuse la Tunisie n’est-il pas l’une des causes derrière la fragilité du système électrique?
Le blackout est survenu alors que la demande globale était de l’ordre de 3226 mégawatts face à une capacité de production installée de l’ordre de 5400 mégawatts. Le blackout ne relève donc pas d’un problème de capacité de production.
Aujourd’hui, notre capacité de production installée suffit théoriquement aux besoins de la Tunisie. Mais elle ne nous donne pas, en tant qu’opérateur d’électricité, assez de marges pour faire face aux périodes de pic de consommation comme celles des périodes estivales. Les besoins supplémentaires sont aujourd’hui comblés à travers les contrats d’importation conclus avec l’Algérie. Et ce, en attendant la mise en œuvre des programmes visant l’extension de la capacité de nos centrales nationales et une meilleure intégration des énergies renouvelables.
Certaines critiques évoquent une défaillance au niveau de l’entretien et de la maintenance du réseau électrique comme l’une des éventuelles causes du blackout?
Après 35 ans d’activité à la STEG, dont dix à la centrale de Radés et dix autres en tant que directeur central de production et de transport, je peux vous assurer que l’entretien des centrales et des réseaux constituent une priorité absolue pour la société.
Au niveau des centrales de production, ce volet est assuré via des contrats de maintenance conclus avec les constructeurs avec le contrôle et le suivi de la STEG. Les entretiens se font selon une périodicité bien définie à l’avance, en fonction du volume production. Une inspection de combustion se fait chaque année, des inspections de la partie chaude après chaque 20 mille heure d’activité et une inspection majeure (révision générale) après chaque 48 mille heure de marche.
Pour la partie transport d’électricité, les lavages se font aussi de manière systématique. Le dernier lavage a été effectué une semaine avant l’incident au niveau du poste de Radès. Mais le vent de sable qu’a connu le pays dernièrement, conjugué à un fort taux d’humidité, ont été derrière l’incident.
Le planning de maintenance pour l’année 2023-2024 est déjà en cours de mise en œuvre.
Existe-t-il des solutions pour éviter ce genre d’incident à l’avenir?
Un benchmark international pourrait facilement démontrer que ce genre d’incident s’est aussi produit dans d’autres pays comme la France et l’Italie et que les systèmes électriques, notamment les postes HT aériens, sont sensibles aux aléas climatiques tels que l’humidité. Et c’est ce qui justifie la démarche retenue par la STEG pour l’acquisition à l’avenir, de postes blindés.
D’ailleurs, l’histoire a montré que ce genre d’incidents ne peut pas être évité à 100 %. En cas de pic de demande connue à l’avance, on peut soit recourir à des coupures périodiques d’électricité programmées à l’avance avec les parties prenantes, soit augmenter les contrats d’importation à l’instar de ce qui a été conclu l’année dernière avec l’Algérie.
Mais en cas d’incident inattendu, on n’est plus dans l’action planifiée. Dans ce cas, les plans de défense automatique sont déclenchés pour essayer d’équilibrer l’offre et la demande. En effet, pour éviter ce genre d’incidents, outre le réseau national, il faut avoir des interconnexions avec des pays voisins et autres. L’interconnexion entre les pays européens les aide aujourd’hui à faire face à ce genre de problèmes.
Hier, la Tunisie a pu surmonter le blackout en s’appuyant sur le réseau algérien (entre 600 et 800 mégawatts). La Libye a contribué à raison de 50 mégawatts. Une meilleure interconnexion entre ces pays pourra renforcer leur capacité à résoudre ce genre de problème. Par ailleurs, le projet d’interconnexion électrique méditerranéenne (Elmed) entre la Tunisie et l’Italie, permettra de renforcer la sécurité électrique de la Tunisie.
Est-ce qu’il y a eu une estimation du coût économique du blackout?
A 6h00 du matin du mercredi, presque 90 % du réseau ont été rétablis. La priorité a été donnée aux départements prioritaires (hôpitaux, centres de souveraineté, industries, transport, SONEDE, ménages…).
La répercussion économique n’était pas donc très importante. Par ailleurs, nos équipes déployées dans les différentes régions sont en train d’évaluer les dégâts directs supportés par les industriels. Lesquels seront couverts par notre assurance.
Avec TAP