Dorra Bouzid, la première journaliste tunisienne, nous a quittés. Elle était également auteure de plusieurs ouvrages sur l’art et avait collaboré avec de nombreux journaux et magazines, dont Tunis-Hebdo. Elle a aussi joué un rôle crucial au début de la presse féminine en Tunisie, notamment en contribuant aux publications « Leila » et « Faiza ».
Son parcours exceptionnel a même été immortalisé dans un film réalisé par le cinéaste Walid Ettayaa.
L’Economiste Maghrébin a eu l’opportunité de l’interviewer il y a quelques années à l’occasion du 8 mars, et on lui avait posé la question de ce que représentait cette date pour elle.
Voici sa réponse : « Le 8 mars a une signification particulière pour moi. Vous savez, nous sommes le seul pays au monde à célébrer deux fois la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars et le 13 août. Plus il y a d’occasions de célébrer les femmes, mieux c’est », plaisante-t-elle. « Mon message est inspiré par une phrase que ma mère m’a transmise : ‘Travaille, c’est ainsi que tu gagneras ton indépendance financière ». « Et j’ajouterais que c’est grâce à Bourguiba que la Tunisie reste un pays qui promeut activement l’égalité entre les hommes et les femmes ».
Elle se rappelle du 13 août 1956 comme d’un moment extraordinaire. Elle confie : « Je me rappelle d’avoir écrit une double page, mais je disais qu’il fallait maintenant que nous, qui avons été témoins de ces avancées, travaillions à changer les mentalités. J’ai omis deux personnes, Cheikh Jaayed et Ben Achour, qui disaient qu’il fallait que la religion évolue avec le pays. Mon éditorial posait la question de savoir si le Code du statut personnel était incompatible avec la religion. Et c’était faux, car l’islam n’a jamais été contre les droits des femmes, et les lois charaïques ont été remplacées par les tribunaux civils. C’est ainsi que nous avons pu parvenir à l’égalité totale des femmes. Mais il faut rester vigilantes, car l’homme a toujours cette idée réfractaire à l’égalité des femmes. Les féministes en Occident ont également rencontré des obstacles et des échecs parce qu’elles étaient trop hostiles envers les hommes. Elles ont dû faire marche arrière pour rappeler qu’il fallait lutter pour l’égalité des femmes. La force en Tunisie réside dans la collaboration entre les hommes et les femmes. C’est le seul pays du monde arabe où les femmes sont l’égale des hommes jusqu’à présent. »
Quant à sa devise dans la vie, elle estime qu’il faut agir non par la haine, mais par l’amour. Elle ajoute : « Habib Bourguiba, sachant que j’étais la seule femme journaliste à l’époque, me convoquait régulièrement. Il m’a même emmenée au Moyen-Orient et j’ai assisté au discours de Jericho. Il organisait régulièrement ce que j’appelais les séances féministes, où des femmes qui avaient été lésées étaient écoutées. La dernière réunion a eu lieu à Monastir dans les années 60. Une prostituée du Kef, arrêtée pour racolage et condamnée à 15 jours de prison, a été défendue par un président de la République. Je trouvais cela extraordinaire. Une danseuse du ventre a également été défendue. Bourguiba disait que lorsque la justice était rendue par des hommes, elle serait en faveur des hommes. Il a souvent adopté cette phrase. Il s’est tourné vers tout le monde en disant qu’il fallait former des avocates et des magistrates. C’est ainsi que nous avons réussi. Il a toujours défendu les droits des femmes, même s’il a commis des erreurs. J’ai dit que même si Bourguiba a mal terminé, nous lui pardonnons comme un bon vieux papa gâteux, car il a fait de son mieux pour son pays. C’est grâce à lui que la Tunisie reste féministe à ce jour. »