Plus d’un tiers des projets migratoires examinés au Niger, en Libye et en Tunisie ont été faussement déclarés comme « aide publique au développement » (APD). L’UE risque de violer les critères internationaux en la matière si elle utilise l’aide pour stopper la migration. C’est ce que révèle un nouveau rapport d’Oxfam, « Du développement à la dissuasion ? ». Lequel souligne comment l’UE utilise son budget d’aide au développement pour externaliser le contrôle migratoire vers des pays d’Afrique.
Le rapport montre que six des 16 projets de migration identifiés au Niger, en Libye et en Tunisie violent potentiellement les critères de l’aide publique au développement (APD). Avec un total de 667 millions d’euros, ces six activités représentent environ les deux tiers du volume total analysé d’environ un milliard d’euros.
Le rapport examine la stratégie de l’UE consistant à utiliser de plus en plus l’argent de l’aide pour dissuader la migration plutôt que pour promouvoir le développement et lutter contre la pauvreté. Selon le rapport, davantage de soutien est destiné aux activités qui entravent la migration et présentent des risques pour les droits de l’Homme qu’à la promotion d’une migration sûre et régulière ou aux effets de la migration sur la croissance. Au Niger, une seule des huit activités examinées soutient la migration sûre et régulière. En Libye, aucun des fonds destinés à la migration n’est utilisé pour promouvoir une migration sûre et régulière vers l’UE.
Ainsi, cette utilisation de l’aide viole à la fois les critères internationaux de développement et les principes juridiques de l’UE. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui a établi les critères mondiaux de réussite en matière de développement, définit comme critère crucial que l’objectif principal du soutien soit « le développement économique et social des pays en développement ». Et elle déclare que les activités qui ne prennent pas suffisamment en compte les droits des personnes déplacées et des migrants et ne peuvent être considérées comme un service public de développement.
Le manque de transparence est inquiétant
Stephanie Pope, experte en migration européenne chez Oxfam, déclare à ce propos : « Les fonds européens sont utilisés pour arrêter la migration plutôt que pour ce à quoi ils sont réellement destinés, à savoir lutter contre la pauvreté. L’UE gaspille son budget d’aide pour construire la forteresse Europe. Dans le même temps, elle veut faire chanter les pays tiers afin qu’ils assument la responsabilité européenne en matière d’asile et de migration.»
Selon l’experte, « lorsqu’il s’agit de migration, nous sommes souvent dans le flou. Nous ne savons pas comment l’argent des contribuables européens destiné à lutter contre la pauvreté est réellement utilisé. Le manque de transparence est inquiétant, d’autant plus que nous sommes au milieu du cycle budgétaire de l’aide de l’UE. Le Parlement européen doit pouvoir intervenir et garantir que chaque euro alloué soit dépensé de la bonne manière. »
Dans certains cas, l’UE utilise sa coopération au développement pour résoudre des problèmes causés par d’autres dépenses de l’UE. Par exemple, l’UE participe à l’achat de navires pour les garde-côtes libyens. Celui-ci est responsable de l’interception et du renvoi des migrants vers la Libye, un pays connu pour violer les droits des migrants. En conséquence, l’UE utilise son budget de développement pour évacuer les migrants de Libye en raison des conditions catastrophiques. L’UE transfère également des fonds aux garde-côtes tunisiens, explique le rapport.
L’UE subordonne le développement économique de la Tunisie aux intérêts migratoires du bloc
Anissa Thabet, coordinatrice des migrations et de la mobilité d’Oxfam en Afrique du Nord, souligne pour sa part : « Alors que la pauvreté et les inégalités augmentent en Tunisie, l’UE ferme les yeux. Les accords qu’elle soumet subordonnent le développement économique de la Tunisie aux intérêts migratoires de l’UE. »
Par ailleurs, au Niger, les pressions européennes visant à criminaliser le trafic de migrants et à les détenir ont conduit ceux-ci à se tourner vers des routes migratoires encore plus dangereuses. Selon des rapports de l’ONU, les forces de sécurité, la police, l’armée, les agents de l’immigration et les agents des frontières sont responsables de plus de 60 % des abus physiques infligés aux femmes migrantes dans la région désertique située entre le Niger et la Libye. Malgré leur bilan désastreux en matière de droits de l’Homme, l’UE fournit à ces autorités des fonds pour des projets de migration qui sont en réalité destinés à des fins de développement.
Kamel Grar / Avec Oxfam