La crise humanitaire qui frappe la planète a rarement été aussi intense qu’en ce début de la deuxième décennie du XXIe siècle. Aux conséquences des catastrophes naturelles s’ajoutent celles des catastrophes d’origine humaine pour transformer le monde en enfer pour des centaines de millions d’êtres humains.
Déjà avant la guerre d’Ukraine, les tremblements de terre de Turquie, Syrie et Maroc et les inondations en Libye, les organisations humanitaires avaient du mal à répondre aux besoins de base des centaines de millions de personnes qui souffrent dans des dizaines de pays.
Un rapport de l’ONU de l’année dernière nous apprend qu’à la fin de 2022 « pas moins de 339 millions de personnes dans 69 pays auront besoin d’aide en 2023 ». Entre-temps, ce nombre a dramatiquement augmenté, plongeant la totalité des organisations humanitaires dans une crise financière sans précédent.
Robert Mardini a annoncé d’importantes réductions des opérations en Afghanistan, en Syrie, au Yémen, au Soudan du Sud, en Somalie, en Irak…
L’exemple de « la doyenne » des organisations humanitaires, le Comité International de la Croix Rouge (CICR) est très révélateur. Le déficit dans son budget pour cette année s’élève à 800 millions de dollars. Conséquences : réduction drastique de l’aide humanitaire aux victimes et suppression de 1 800 emplois dans le siège de l’Organisation à Genève et dans plusieurs de ses délégations à travers le monde.
Déjà au mois de mars dernier, le directeur du CICR, Robert Mardini, a annoncé d’importantes réductions des opérations en Afghanistan, en Syrie, au Yémen, au Soudan du Sud, en Somalie, en Irak, en République démocratique du Congo, en Éthiopie et au Nigeria. « Seule l’Ukraine, a-t-il précisé, présente des perspectives de financement positives »…
La situation des organisations humanitaires de l’ONU n’est guère mieux. Dans sa dernière mise à jour, le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU a publié, le 13 septembre, les données chiffrées de la situation : « Au niveau mondial, les besoins de l’aide humanitaire s’élèvent à 55,2 milliards de dollars… Les donateurs n’ont fourni que 15,8 milliards de dollars… Ce qui représente 29 pour cent du financement total requis cette année… L’écart entre les besoins financiers et les ressources s’élève actuellement à 39 milliards de dollars, le plus large jamais enregistré ».
Pour expliquer ce déficit sans précédent dans les budgets de l’action humanitaire mondiale, les regards de la plupart des commentateurs se tournent vers la guerre d’Ukraine. Le contraste est vertigineux entre la générosité dont bénéficie l’Ukraine pour l’encourager à poursuivre la guerre et la parcimonie avec laquelle sont traitées les demandes de financement de l’aide humanitaire.
En 2022, pas moins de 3 300 milliards de dollars ont été dépensés dans le monde pour l’achat d’armements
On ne peut pas ne pas mettre en exergue l’étroite relation entre les catastrophes humanitaires d’origine humaine et les trillions de dollars dépensés annuellement dans le commerce florissant des armes et les budgets militaires en constante croissance dans le monde.
En 2022, pas moins de 3 300 milliards de dollars ont été dépensés dans le monde pour l’achat d’armements ; le budget du Pentagone s’est élevé à 800 milliards de dollars ; et depuis le début de la guerre d’Ukraine, celle-ci a reçu plus de 110 milliards de dollars en armements et en aides financières.
Le monde est pris au piège d’un cercle infernal : plus on dépense pour l’armement et les guerres, plus on produit de catastrophes humanitaires et moins on trouve l’argent pour secourir les victimes.
Dans ce monde où les puissants pataugent dans l’immoralité, le cynisme et l’indécence, l’argent coule à flot pour l’achat des canons, mais manque terriblement pour l’achat du beurre
C’est sans doute cette situation infernale qui a amené le politologue américano-suisse, Daniel Warner, à évoquer à juste titre, dans un article publié dans le site antiwar.com, la parabole du beurre et du canon. Dans ce monde où les puissants pataugent dans l’immoralité, le cynisme et l’indécence, l’argent coule à flot pour l’achat des canons, mais manque terriblement pour l’achat du beurre.
Et Daniel Warner de citer le propagandiste nazi Joseph Goebbels : « Nous pouvons nous passer du beurre, mais, malgré tout notre amour de la paix, pas des armes. On ne tire pas avec du beurre, mais avec des fusils ».
En écho, un autre Joseph, président d’une grande puissance, pourrait bien dire lui aussi, « malgré notre amour pour la paix, nous avons plus besoin d’armes pour l’Ukraine que de beurre pour l’action humanitaire ».