L’écrivain franco-libanais, Amin Maalouf, 74 ans, a été élu, jeudi 28 septembre 2023, pour être le nouveau secrétaire perpétuel de l’Académie française. En effet, les 35 « Immortels » devaient choisir entre deux prix Goncourt, lui qui était favori, et Jean-Christophe Rufin. A savoir que c’est la première fois dans l’histoire de la prestigieuse institution qu’une personnalité non « française de souche » occupe ce poste vacant depuis la mort en août dernier d’Hélène Carrère d’Encausse, qui l’occupait depuis 1999.
« C’est un immense écrivain, un homme de fraternité, de dialogue, d’apaisement, c’est un excellent choix ». Ainsi s’exprima la ministre française de la Culture, Rima Abdul Malak, elle aussi franco-libanaise, pour saluer l’élection de son compatriote, Amin Maalouf. Celui-ci vient d’être élu par les « Immortels » secrétaire perpétuel de l’Académie française, sise au 23, Quai de Conti, à Paris dans le VIème arrondissement.
Ouverture
Chose inédite dans l’histoire de la vénérable institution vieille de 388 ans, deux prix Goncourt, en l’occurrence l’heureux élu et Jean-Christophe Rufin, étaient en lice pour le même poste. Ainsi, l’Académie française – qui vient de s’ouvrir plus encore au vaste monde, après avoir élu le Russe Andreï Makine, le Péruvien Vargas Llosa, l’Italien Maurizio Serra, le Chinois François Cheng, le Haïtien Dany Laferrière et l’Anglais Michael Edwards – s’élargit davantage en accueillant ce Franco-libanais, prix Goncourt 1993 pour « le Rocher de Tanios ». Il succède, à l’âge de 74 ans, à Hélène Carrère d’Encausse, décédée cet été à l’âge de 94 ans.
Triple mission
En succédant à Hélène Carrère d’Encausse sous la coupole, Amin Maalouf va désormais diriger et représenter l’Académie française dont traditionnellement le roi puis le président de la République est le protecteur. En tant que secrétaire perpétuel, il occupe le 24ème rang de l’Etat et le représente dans le monde et joue un rôle prépondérant pour défendre la langue française.
D’ailleurs, il devra s’atteler à achever la 9ème édition du Dictionnaire de l’Académie, une œuvre monumentale que sa prédécesseure a quasiment terminée.
De même, il devra s’occuper des finances. L’Académie française, tout comme les autres branches de l’Institut de France, est dans une situation financière délicate. Car ses seules sources de revenus sont le produit de ses actifs financiers, de dons et de legs.
Enfin, en tant qu’homme qui succède à une femme, on s’attend à ce qu’il rajeunisse et féminise la prestigieuse institution : actuellement, on y compte 28 messieurs et sept dames.
Un citoyen du monde
Ecrivain humaniste aux origines cosmopolites, l’exil et le voyage étant dans les gènes de cet homme, dont les ancêtres, comme le rappelait Jean-Christophe Rufin dans son discours de bienvenue en 2012 à l’Académie, « avaient quitté la montagne du Liban pour tenter leur chance et faire fortune à Cuba, aux Etats-Unis, à Istanbul ou en Egypte », le nouveau secrétaire perpétuel est né au Liban le 25 février 1949, dans une famille d’enseignants.
Après des études d’économie et de sociologie, il travaille comme reporter, couvrant de nombreux événements à travers le monde, comme la chute de la monarchie éthiopienne en septembre 1974, ou la dernière bataille de Saigon, en mars et avril 1975.
Quand la guerre éclate dans son pays natal, il part pour la France avec son épouse et ses trois enfants. Il débarque à Paris, le 20 juin 1976, où il bénéficia d’une des premières décisions du gouvernement de Raymond Barre destinées à faciliter le séjour et le travail des ressortissants issus de pays ravagés : Cambodge, Laos, Vietnam, Chili, Liban. Alors, il reprend aussitôt son activité de journaliste, notamment à Jeune Afrique, où il devient rédacteur en chef et éditorialiste.
Il n’abandonne pas pour autant sa passion pour la littérature. À partir de 1984, il se consacre totalement à l’écriture, publiant des romans dont les plus connus sont Les Croisades vues par les Arabes, Léon l’Africain, Samarcande, Le Rocher de Tanios, Les Échelles du Levant, Les identités meurtrières, Origines ou Les Désorientés.
En 1993, il obtient le prix Goncourt pour Le Rocher de Tanios, en 1998 le prix européen de l’essai pour Les Identités meurtrières, et en 2010 le prix Prince des Asturies des Lettres pour l’ensemble de son œuvre. Mais c’est sur l’Île d’Yeu, dans une petite maison de pêcheurs, qu’il prendra l’habitude de se retirer plusieurs mois par an pour écrire.
Il est aussi Docteur honoris causa de l’université Catholique de Louvain (Belgique), de l’université de Tarragone (Espagne), de l’université d’Evora (Portugal) et de l’université américaine de Beyrouth (Liban).
Elu à l’Académie française, le 23 juin 2011, au fauteuil de Claude Lévi-Strauss (29ème), il se voit remettre son épée et son habit vert le 14 juin 2012 par Jean-Christophe Rufin.
« J’apporterai mes origines, mon accent, mes convictions, mes doutes, mes rêves d’harmonie, de progrès et de coexistence », avait-il promis dans son discours de réception.
Ironie du sort, c’est contre ce dernier, diplomate de 71 ans et Prix Goncourt 2001 pour son ouvrage Rouge Brésil, qu’Amin Maalouf l’emporta par vingt-quatre voix contre huit sur les 35 « Immortels » et accéda, jeudi 28 septembre, à la tête de l’Académie française.
Problématique Orient/Occident
Reste à savoir si sous son égide, l’Académie française va s’ouvrir à d’autres cieux : « Dire d’un écrivain qu’il est francophone, c’est sous-entendre qu’il écrit en français, mais rappeler qu’il est étranger. Le terme est censé rassembler, mais il éloigne, il divise », avait amèrement constaté ce conteur né qui n’eut de cesse d’analyser les effondrements et les naufrages des civilisations et de s’interroger sur les causes du déclin de l’Orient et du monde arabo-musulman. Et surtout, question lancinante, jusqu’où fallait-il imiter aveuglement le modèle occidental?
Eternel débat.