La Méditerranée se trouve au cœur d’une crise globale. De l’intensification des flux migratoires au creusement des inégalités, en passant par les effets du réchauffement climatique, l’espace méditerranéen concentre les principaux phénomènes auxquels notre monde est confronté.
L’espace méditerranéen demeure l’un des espaces les plus fracturés et fragmentés au monde, sur les plans économique, social et démographique. Les sociétés du bassin méditerranéen sont caractérisées par de profonds déséquilibres, écarts et différences de situations macro-économiques entre elles et en leur sein. Le monde méditerranéen est composé d’économies nationales très inégales, où de fortes disparités transparaissent en termes de niveau de richesse et de développement. Celles-ci dessinent apparemment une ligne de fracture entre les pays développés et intégrés de la rive nord-européenne et ceux situés au sud et à l’est de la Méditerranée. Un fort différentiel de développement sépare les pays européens et arabes des rives Nord et Sud.
Un espace économique et social fracturé
Les pays européens de la rive Nord et plus précisément les pays de l’arc latin concentrent l’essentiel du volume du « PIB méditerranéen ». Ces pays concentrent les principales métropoles dynamiques (Barcelone-Marseille-Turin-Gênes-Rome) du pourtour méditerranéen. Sur les rives Sud et Est du bassin, les écarts de développement dans les pays arabes relèvent davantage d’une opposition entre les territoires littoraux et intérieurs. Les littoraux bénéficient en effet des infrastructures et des activités économiques liées à la production industrielle, à l’offre de services et aux échanges commerciaux. Ils concentrent les investissements publics et privés, phénomène qui nourrit les inégalités sociales et territoriales au sein des Etats. Des inégalités qui nourrissent plus que jamais les flux migratoires vers le nord…
Des routes migratoires meurtrières
L’insécurité et l’instabilité politique qui se développent dans l’espace sub-saharien, au Maghreb et au Moyen-Orient, ajoutées aux différences de niveaux de développement et à l’absence de perspective pour la jeunesse de ces pays nourrissent un flux migratoire d’une intensité accrue depuis près d’une décennie. Une donnée plus structurelle que conjoncturelle, qui n’a toujours pas reçu de réponse politique coordonnée et globale.
Pour les pays européens, ces flux massifs et continus sont d’abord perçus comme un défi à leurs politiques de l’asile et de l’immigration, et une menace sécuritaire et identitaire. L’externalisation des frontières via des accords avec des régimes autoritaires est érigée en politique migratoire. Un choix mortifère. Parmi les différentes voies que l’immigration clandestine emprunte pour accéder en Europe, la Méditerranée centrale (Libye, Italie, Malte, Tunisie) est la principale route suivie. Avec près de 25 000 morts en dix ans sur l’axe central de la Méditerranée, cette route maritime migratoire est aussi la plus mortelle au monde, selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM).
Un « hot spot » du réchauffement climatique
Haut lieu du changement climatique, la Méditerranée est d’abord un espace d’enjeux majeurs en termes de survie de territoires vulnérables, confrontés à la fois aux incendies et aux inondations ou crues d’une intensité et d’une fréquence nouvelles. L’augmentation des températures s’accompagne d’épisodes de sécheresse plus étalés dans le temps, sur fond de montée du niveau de la mer. Selon les dernières perspectives du GIEC, l’augmentation de la température annuelle moyenne de 2,2 à 5,1°C aura un impact à la fois sur les ressources naturelles et les activités humaines : l’agriculture, le tourisme, l’industrie, la production d’énergie. Des perspectives qui ne peuvent qu’alimenter plus encore l’intensification des flux migratoires.
Afin de renforcer les liens entre les pays riverains de la Méditerranée et de faire de cette aire un espace de coopération et de solidarité, il convient de se défaire des calculs courtermistes et des obsessions sécuritaires ou identitaires qui ont fait de la Mare nostrum un cimetière marin ». Faute d’une véritable « Union pour la Méditerranée » (l’actuelle « UPM » est une « coquille institutionnelle »), il est temps de voir naître un authentique projet d’intégration méditerranéenne, espace où les individus sont plus qu’ailleurs liés par une communauté de destin. Y a-t-il des hommes d’Etat qui auront la lucidité et le courage nécessaires à la naissance d’un tel projet?
- Béligh Nabli est l’auteur de « Relations internationales. Droit, théorie, pratique» (Pedone, 2023, 408 p.).