Morose, la rentrée politique, malgré le fait que l’on soit dans une année électorale. En effet, le 24 décembre prochain auront lieu les élections qui aboutiront à l’installation de ce qu’on peut appeler la Chambre haute. Donnant ainsi le coup d’envoi final à la constitution du parlement tunisien. La chambre des députés ayant été déjà élue; même si elle était mal élue à cause de la faible participation des citoyens inscrits sur les listes électorales. La deuxième chambre aura-t-elle plus de succès et verrons-nous les électeurs se bousculer devant les bureaux de vote?
Difficile de le pronostiquer sans le risque de tomber dans la manipulation. Sachant qu’aucun sondage digne de ce nom n’a jusqu’à maintenant annoncé la tendance. Toujours est-t-il que l’ambiance politique générale est plutôt terne et n’indique nullement qu’une bataille électorale se prépare. D’abord entre qui et qui?
Une carte politique brouillée
L’on sait que le 25 juillet 2021 a servi essentiellement à redistribuer totalement les cartes. Les tenants de l’islam politique ont été les grands perdants de cette redistribution. Non seulement ils ont été marginalisés au départ, mais ils furent ensuite rayés de la carte politique. Ils portent en premier la responsabilité de leur éradication, un mot qu’ils ont eux-mêmes inventés, pour désigner leurs adversaires les plus farouches. Leur chef Rached Ghannouchi n’a pas su lire objectivement la nouvelle donne qui s’est imposée le 25 juillet 2021. Il avait cru, à tort, qu’il était possible de revenir en arrière. En comptant sur un supposé appui extérieur, qui petit à petit s’est avéré un leurre. Les Nations même amies sont des monstres froids et n’ont que des alliés souvent temporaires, voire même éphémères.
C’est que la donne mondiale a changé du fait de la guerre d’Ukraine et les rapports de forces à l’échelle mondiale sont en cours de changement. Quant au printemps arabe, dans la version tunisienne, il fait désormais partie des mauvais souvenirs et passe la main à un autre “printemps” d’un autre genre, qu’on peut désigner par “le sursaut africain”.
La faute de R. Ghannouchi a été, au lieu de tenter de négocier sa situation et celle de ses compagnons y compris sur le plan politique, de tenter un coup de force Lequel consiste à renverser la situation politique en pariant sur le soutien de ses alliés extérieurs et d’une réaction de ce qu’on appelle la société civile, qui, devant l’ampleur des changements s’est avérée non seulement absente mais inexistante. Et pour cause, la manne financière qui a depuis 2011 inondé le paysage médiatique et associatif a soudainement été asséchée. Et le soutien politique qu’elle recevait de l’étranger a soudainement disparu. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à suivre les péripéties des relations de l’UE avec notre pays. L’arme dissuasive de l’immigration sauvage qui frappe le sud de l’Europe est passée par là.
Le résultat de cette faute est qu’une erreur d’appréciation de R. Ghannouchi fût catastrophique pour lui et pour ses amis. Ils croupissent tous en prison et se trouvent complètement abandonnés non seulement par leurs anciens sponsors, mais aussi par leurs anciens alliés de l’intérieur; et pire encore par la base islamiste, qui du même coup a déserté la scène politique et sociale.
Le résultat de cette hécatombe politique de l’islamisme est la disparition d’un large spectre de la scène politique qui ne fût pas remplacé par un autre même d’une autre couleur. Car les destouriens dont une partie est derrière le PDL de Abir Mousi n’ont pas comblé ce vide. Et ce, en raison des désaccords profonds qui les divisent notamment sur la position sur laquelle il faut camper pour se positionner à l’égard du phénomène Kaïs Saïed.
Quant à la gauche, elle a tout simplement disparu du spectre politique, minée par ses divisions et par un manque de renouvellement de ses supposés leaders. Certains campent derrière le Président de la République sans grande conviction; tandis que d’autres continuent à servir le même plat réchauffé que les Tunisiens n’ont jamais voulu gouter. Cette famille idéologique et politique qui a une longue tradition de combat pour le progrès n’a jamais su s’adapter à son époque, à l’instar de la gauche européenne ou latino-américaine.
Une frange de cette gauche est allée jusqu’à s’allier dans un passé très proche à son ennemi idéologique, sociétal et politique de toujours, l’islam politique. Quand elle ne lui a pas servi d’alibi pour présenter un visage “démocratique”. On est toujours rattrapé par ses propres errements du passé.
Quant aux nationalistes arabes, cette famille qui devait son existence aux régimes pan arabiques, elle a tout simplement disparu de l’histoire.
La rentrée sera très chaude cependant
Cet air de morosité générale qui prévaut actuellement ne doit pas nous cacher une autre réalité : le feu qui couve sous les cendres est loin d’être éteint.
L’arrestation des principaux meneurs de la contestation, et dont la justice instruit les dossiers, que les raisons des arrestations soient réelles ou seulement annoncées, a créé une situation caractérisée par l’absence de débats sérieux en rapport avec les prochaines élections sur les problèmes réels qui intéressent les Tunisiens. Tels que : la pénurie endémique des produits alimentaires de base; la baisse du pouvoir d’achat des larges couches de la population; l’immigration subsaharienne et les problèmes qu’elle engendre; l’insécurité dans les grandes villes; la politique extérieure et notamment vis-à-vis de nos alliés européens; la réforme du système éducatif; etc. Car les nouveaux élus de la seconde chambre doivent débattre et définir une position, voire même proposer des lois pour résoudre des problèmes. Or aucune campagne n’a été lancée sur ces thèmes. Et quand bien même certains partis politiques boycottent ces élections, leur devoir national leur impose de débattre de ces sujets, non seulement avec leurs militants mais surtout avec les citoyens.
A la place d’un vrai débat sur les questions de fond, on trouve dans les médias une vraie cacophonie sur des questions qui n’ont aucune importance sur l’avenir du pays. Cacophonie qui pollue la scène politique et qui est initiée par des faux professionnels des médias qui empruntent le nom oh combien trompeur de chroniqueurs et autres faux experts. Les partis politiques respectables se font moins visibles, probablement par “prudence” politique ou tout simplement par lâcheté. Les défenseurs ou prétendus tel de KS font un vacarme assourdissant pour nous servir toujours la même sérénade. Cela frise parfois le ridicule tant leurs positions manquent de cohérence et tant ils sont à court d’arguments.
Ce qui est sûr c’est que KS est très mal défendu. Mais ce qui est plus sûr encore c’est que les opposants à KS en dehors des habituels invectives et accusations tournant autour de la question démocratique accompagnées de menaces, ne font que chanter la même litanie et se soucient très peu des réponses qu’ils devraient apporter aux Tunisiens sur les questions vitales qui les intéressent vraiment.
Cette morosité risque de se prolonger au-delà des élections tant que les situations politique et économique ne trouvent pas de dénouement! Pendant ce temps, le pays continue à s’enfoncer dans la plus grave crise politique, économique et sociale de son histoire postindépendance.