La nouvelle configuration des équilibres mondiaux interroge la place de l’Afrique. La question est notamment de savoir si le continent sera (à nouveau) un simple terrain des rivalités entre les puissances ou s’il va s’affirmer comme un acteur majeur du monde multipolaire qui émerge sous nos yeux.
Un faible poids géopolitique et géoéconomique
L’Afrique est un continent fragmenté en divers régions et Etats, dont la superficie totale (plus de 30 millions de km², soit plus que la taille cumulée de la Chine, des Etats-Unis, de l’Inde et d’une partie de l’Europe) et le poids démographique (près de 1,5 milliard d’habitants, soit environ 20% de la population mondiale) contrastent avec sa faible puissance géopolitique et géoéconomique.
Après une longue période coloniale, les indépendances nationales n’ont pas permis de rendre véritablement audible la voix des Etats africains. Aujourd’hui encore, ces derniers sont relativement marginaux sur la scène internationale (aucun n’est membre du Conseil de sécurité de l’ONU et seule l’Afrique du Sud fait partie du G20 et des BRICS) comme dans l’économie mondiale (même si certains d’entre eux occupent une position non négligeable dans des secteurs stratégiques comme les hydrocarbures – Algérie, Libye, Nigeria, etc.).
Après une longue période coloniale, les indépendances nationales n’ont pas permis de rendre véritablement audible la voix des Etats africains.
Dans la hiérarchie des puissances internationales, nombre d’Etats africains se trouvent parmi les plus faibles, tandis que le continent ne connaît pas de véritable leadership (en dépit de l’affirmation de l’Afrique du Sud).
De plus, à défaut d’intégration continentale politique et économique, il est difficile de considérer l’Afrique comme une unité ou actrice globale, un « continent-puissance » des relations internationales parlant d’une seule voix*. L’Union africaine (UA) demeure relativement inaudible sur la scène internationale, même si son entrée au G20 est évoquée et que les Etats africains tentent de s’organiser pour mieux peser (avec d’autres puissances secondaires) dans les organisations et conférences internationales (COP comprises). Certains affichent même leur volonté de rejoindre les BRICS, pour renforcer leur statut international dans un contexte de reconfiguration des équilibres mondiaux.
Dans la hiérarchie des puissances internationales, nombre d’Etats africains se trouvent parmi les plus faibles, tandis que le continent ne connaît pas de véritable leadership.
Un déficit d’influence politique des pays africains qui traduit un déficit de puissance économique. L’Afrique est le continent le moins développé au monde et ne représente qu’environ 3% du PIB mondial. Un retard de développement socioéconomique accru dans les pays de l’Afrique subsaharienne et l’Afrique centrale, et dont les causes sont liées : au poids de l’héritage colonial, à des défaillances de la gouvernance publique, à des infrastructures insuffisantes ou défaillantes, à des situations politiques instables, à des foyers de tensions et de conflits persistants ou récurrents, à des ressources naturelles (à l’origine d’industries extractives) exportées sans transformation et donc avec une faible plus-value, à des richesses inégalement réparties et captées par une oligarchie (sur fond de corruption endémique), à une transition démographique inachevée, etc.
Une perpétuelle dépendance ?
Une situation de sous-développement, qui place les pays africains dans une relation de dépendance par rapport à d’autres acteurs internationaux. Le continent est souvent considéré comme un simple objet du jeu de puissances qui visent le contrôle de points géostratégiques et de ressources naturelles. Une réalité structurelle qui n’empêche pas les Etats africains de faire montre de leur volonté d’autonomie vis-à-vis des anciennes puissances coloniales et de rompre ainsi avec l’hégémonie occidentale.
De nouveaux partenariats alternatifs (sur les plans militaire et économique) sont proposés par la Chine et la Russie (mais aussi des puissances régionales comme la Turquie, l’Inde et le Brésil).
De nouveaux partenariats alternatifs (sur les plans militaire et économique) sont proposés par la Chine et la Russie (mais aussi des puissances régionales comme la Turquie, l’Inde et le Brésil).
Cette nouvelle donne affecte les positions privilégiées d’anciennes puissances coloniales. Le cas de la France est significatif : celle-ci a développé des rapports de domination à travers de puissants réseaux politiques, économiques, miliaires (bases militaires au Gabon, en Côte d’Ivoire, en Centrafrique ou à Djibouti…) et des systèmes d’alliances qui lui ont permis de peser et d’influencer l’ordre interne des pays francophones d’Afrique. Désormais, non seulement l’influence de la France est confrontée aux stratégies offensives chinoise et russe qui fustigent l’impérialisme occidental, mais elle fait face aussi à une contestation interne, de la part des populations elles-mêmes.
Une nouvelle page s’écrit manifestement en Afrique. Espérons qu’elle s’écrira par les Africains et dans l’intérêt des Africains.
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* L. Sindjoun, « L’Afrique au prisme des relations internationales », in M. Gazibo (dir.), Le politique en Afrique. Etat des débats et pistes de recherche, Paris, Karthala, 2009, pp. 319-341.
Béligh Nabli est l’auteur de « Relations internationales. Droit, théorie, pratique », Pedone, 2008, 408 p.