Nous abordons la dernière ligne droite de l’année sans que l’on sache ce qui nous attend à l’arrivée et peu de chose encore sur les leviers de la croissance mis en perspective pour l’année prochaine, si tant est qu’ils existent. Face au silence, au mutisme des autorités concernées, on se perd en conjectures. Et ce ne sont pas les quelques bribes de déclarations de circonstance qui vont dissiper le doute, l’état d’incompréhension, la perplexité et le désarroi des acteurs économiques, maintenus dans un épais brouillard. Ils ont si peu de données sur les préférences nationales de structure et les intentions chiffrées gouvernementales !
Le pays détient le triste record des prélèvements obligatoires en Afrique, tout en étant – en dépit de son énorme potentiel – à la traine, au bas du tableau des investissements et de la croissance.
Début octobre et rien d’officiel encore n’a filtré sur l’architecture du budget de l’État 2024 et de la loi de finances. On laisse entendre, à travers quelques notes glanées ici et là, qu’il n’y aurait pas d’accroissement de la pression fiscale. Comme si presser davantage les entreprises déjà assommées par la fiscalité a encore du sens. Tout impôt additionnel provoquerait une véritable hécatombe parmi les PME/PMI et l’effondrement de l’économie nationale. La fiscalité a atteint son point de rupture et de non-retour. Le pays détient le triste record des prélèvements obligatoires en Afrique, tout en étant – en dépit de son énorme potentiel – à la traine, au bas du tableau des investissements et de la croissance. Ce qui n’entame en rien l’impératif social. Le ministre des Affaires sociales ne s’y est pas trompé en reprenant le leitmotiv présidentiel que l’État social n’est pas une option, c’est un choix délibéré de politique générale. Moralité : on ne touchera pas aux dépenses des transferts et aux subventions sans rogner sur les investissements publics et sans, si l’on en croit les rumeurs, augmenter le poids de la fiscalité dans le budget des entreprises et des ménages. Allez comprendre.
Quand saura-t-on enfin que l’économie croît et évolue à force d’anticipation. Que la gouvernance des entreprises est intimement associée aux prévisions budgétaires gouvernementales. Autant de signaux politico-économiques qui leur assurent visibilité et influent sur leurs choix et leurs décisions d’investissement.
L’État détient les principaux leviers de commande de l’économie. Il est à la fois producteur, principal employeur, donneur d’ordre et client dont dépendent la survie et la pérennité d’un grand nombre d’entreprises. La demande – de la consommation publique notamment – dépasse dans certains secteurs celle des ménages. Chacune de ses décisions – dépense ou impôt – impacte dans un sens ou dans l’autre le comportement des contribuables, celui des entreprises et l’évolution de l’économie.
Le paysage des entreprises, autrefois quelque peu entaché, frôle la désolation. Comble de l’absurde: il s’en crée très peu chaque année pour pouvoir contenir l’explosion du chômage des jeunes et des moins jeunes, tentés aujourd’hui par les barques de la mort au péril de leur vie.
Il y a tellement d’incertitudes économique, technologique, géopolitique… auxquelles sont confrontées les entreprises pour ne pas les accabler de surcroît d’instabilité fiscale ou procédurière. Elles ne sauraient ni ne pourraient s’accommoder, au risque de se voir éjecter de la course à la compétitivité, si vitale pour leur survie. Le chaos fiscal, législatif et bureaucratique a déjà provoqué d’énormes dégâts et un véritable affaissement du socle de notre appareil productif. Le taux de mortalité des PME/PMI n’a jamais été aussi élevé. Les multiples chocs – Covid, endettement, déferlante de l’informel… – sont passés par là.
Le paysage des entreprises, autrefois quelque peu entaché, frôle la désolation. Comble de l’absurde: il s’en crée très peu chaque année pour pouvoir contenir l’explosion du chômage des jeunes et des moins jeunes, tentés aujourd’hui par les barques de la mort au péril de leur vie. Il appartient à l’État d’envoyer au plus vite, à travers budget et loi de finances, des signaux quant à sa détermination d’assainir ses entreprises, de rationaliser les dépenses de la Caisse générale de compensation, de faire de la fiscalité un instrument d’équité et de relance de l’économie sans affecter les investissements d’avenir.
Budget et loi de finances doivent proposer des choix clairs, cohérents, les mécanismes et les moyens en faveur d’un retour à la croissance pour donner plus de crédit à l’idée même d’État social. Il faut y voir la démonstration d’un pacte de croissance pour donner plus de profondeur et de chair à notre modèle social, aujourd’hui au bord de l’implosion.
Le gouvernement serait bien inspiré de mettre fin aux interrogations et aux inquiétudes des entreprises en annonçant à temps l’ossature du budget et de la loi de finances 2024.
Le budget de l’État et la loi de finances sont au cœur des choix politiques de l’État. Ils s’articulent à la fois sur des politiques de demande, de relance budgétaire et de politique d’offre, via une réduction du loyer de l’argent et de la pression fiscale. Le pire serait que cette construction soit conçue comme un instrument comptable, où seules priment les recettes fiscales au regard des difficultés financières du pays. Ce qui revient à sacrifier la croissance et l’avenir pour un présent du reste incertain.
Le gouvernement serait bien inspiré de mettre fin aux interrogations et aux inquiétudes des entreprises en annonçant à temps l’ossature du budget et de la loi de finances 2024. Certes, il n’a pas la partie facile, entraîné comme il l’est dans le tourbillon des difficultés financières et de la crise de la dette. Il a des fins de mois on ne peut plus difficiles. Qu’il parvienne à honorer ses engagements et à assurer sans le moindre retard le versement des salaires et des retraites relève de l’exploit. Mais cela ne devrait pas le détourner de ses obligations de nous informer en temps et en heure de ses choix budgétaires et fiscaux qui seraient soumis à l’approbation de l’ARP qui peut ne pas les valider.
Le temps, c’est ce qu’il y a de plus cher et de plus précieux pour les entreprises en quête d’efficacité, de compétitivité et de capacité d’adaptation pour ne pas disparaître à jamais. L’État a l’impérieux devoir de les aider pour ne pas ajouter à leurs interrogations, à leurs inquiétudes et à la morosité ambiante. Être, comme elles le sont, pleinement exposées à la redoutable concurrence internationale et au travail de sape de l’économie informelle sans aucun filet de protection suffit à leur peine.
L’édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 879 du 11 au 25 octobre 2023