Les grandes orientations et les principales mesures du projet de loi de finances 2024 (PLF 2024) ont été présentées lors des travaux du Conseil national de la Fiscalité, tenu le 27 septembre à Tunis. Pour la ministre des Finances, Sihem Boughdiri, qui a présidé cette réunion « en dépit des pressions exogènes sur les finances publiques, l’Etat tunisien œuvrera à travers cette loi à gérer les déséquilibres financiers ». Entendre par là que la politique de rigueur suivie en 2023 sera poursuivie en 2024, avec quelques nuances. Pour reprendre le rhétorique du communiqué officiel publié à l’issue de la réunion du Conseil, les dispositions du PLF 2024 prévoient, pêle-mêle, la poursuite du soutien à l’entreprise économique, l’impulsion de l’investissement, l’appui de l’économie verte et du développement durable (adaptation au réchauffement climatique, énergies renouvelables…), la lutte contre l’évasion fiscale, la mise en place de plus de garanties au profit des contribuables…
Raisonnablement optimiste, M. Lotfi Bouzaiane, universitaire et économiste de renom, dresse un bilan assez positif de l’exercice 2023. Même élan d’optimisme lorsqu’il parle de la loi de finances 2024. Même s’il dit n’en connaître que les grandes orientations, il pense qu’on est sur la bonne voie, notamment en ce qui concerne les équilibres macroéconomiques.
Début octobre, la loi de finances 2024 n’est pas encore publiée. On en connait toutefois les grandes lignes, à savoir la poursuite du soutien à l’entreprise économique, l’impulsion de l’investissement, l’appui à l’économie verte, la lutte contre l’évasion fiscale. D’après ce que l’on sait, que pensez-vous de cette loi ?
C’est vrai que la loi de finances 2024 n’a pas encore été dévoilée au grand public. Cela dit, quelques éléments ont circulé depuis la réunion de Mme la ministre des Finances avec le Conseil de la fiscalité. Les objectifs ont été annoncés, et je pense que tout le monde en est conscient. On sait qu’on ne va pas instituer des impôts supplémentaires et qu’on s’engage à améliorer le pouvoir d’achat des Tunisiens. il semblerait aussi qu’il y aura une amnistie sociale. Ce sont des mesures que les entreprises et les professionnels attendent, des signaux qui peuvent les rassurer.
Par ailleurs, on croit savoir que dans la loi de finances 2024, les pénalités seront plafonnées. C’est un bon geste, mais il faut le faire d’une façon plus significative. L’administration pense que l’opérateur prendra sa décision en fonction de la pénalité. En fait, c’est faux. Si l’opérateur ne remplit pas ses obligations, c’est pour d’autres raisons, en particulier pour des problèmes de financement. Autrement dit, revoir la pénalité de retard ne va pas l’inciter à investir.
Un autre point pourrait intéresser les opérateurs et qu’on ne trouve pas dans la loi de finances 2024, à savoir une incitation particulièrement significative dans certains domaines. C’est une loi de finances qui manque de vigueur. Dans les lois précédentes, on parlait de développement régional, d’incitation à l’exportation. C’est une tendance et une vision qu’on ne sent pas vraiment dans cette loi de finances. Elle n’a pas d’identité spécifique de nature à provoquer un choc de croissance.
Autre point à relever que les opérateurs économiques attendent et qui fait défaut : il n’y a pas l’affirmation d’une véritable politique économique. On ne sait pas, avec cette loi de finances, où va l’économie du pays. Certes, il y a quelques signaux, mais qui nous laissent perplexes. On nous envoie le signal d’une économie encore plus administrée, d’une économie qui sera gérée par des mesures administratives, avec une limitation des importations, de certaines dépenses… Ces limitations seront décidées, elles ne seront pas le résultat d’un besoin du marché.
On parle aussi des PME nouvellement créées qui vont bénéficier, à partir de l’année prochaine, d’une exonération d’impôt pour une durée de trois ans. C’est bien, mais je pense que les jeunes sont plus intéressés par les procédures. Pour les jeunes, il n’y a pas beaucoup de différence entre financement et fiscalité. Ce qui les entrave le plus, ce sont la lourdeur et la complexité des procédures administratives.
Est-ce qu’on va, toutefois, se souvenir de la loi de finances 2023 ?
Même si les résultats de l’exercice 2023 ne sont pas encore dévoilés, notamment ceux des mesures fiscales qui ont été prises, je pense qu’on a enregistré pas mal de réalisations avec la loi de finances 2023. En fait, on constate qu’on revient, sur le plan macroéconomique, petit à petit, à la situation de 2010. Je citerais à ce propos le déficit du budget de l’Etat en % du PIB, qui est en 2023 de l’ordre de 5.20%. Il était de 5% en 2009 et 2010. De même pour la balance commerciale, qui est mieux maitrisée. Le taux de couverture dépasse les 75.2%, alors qu’il était en dessous des 70% entre 2012 et 2019. On peut aussi citer les réserves de change, qui viennent de dépasser les 120 jours d’importations.
Ce sont là des signaux, des résultats concrets, positifs, dont peut se vanter l’actuelle administration.
Deux points essentiels ont joué dans l’accomplissement de ces résultats. Il y a d’abord l’administration. On peut reprocher beaucoup de choses à l’administration tunisienne, mais elle a l’aptitude de gérer les situations de crise. Elle sait trouver les mesures nécessaires pour obtenir les résultats escomptés. C’est là, je pense, un atout très important qu’il ne faut pas négliger. Il y a ensuite les opérateurs, les entrepreneurs. On peut, à eux aussi, leur reprocher beaucoup de choses, mais ils ont su très bien réagir. Malgré les difficultés, ils ont pu surfer sur la vague et trouver les solutions adéquates. A ce propos, on peut relever que bien que l’industrie n’ait pas vraiment repris, l’exportation manufacturière s’est, en revanche, bien comportée.
Extrait de l’interview qui est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 879 du 11 au 25 octobre 2023