L’unanimité occidentale qui soutient l’énième opération militaire israélienne à Gaza (véritable « prison à ciel ouvert ») conforte l’impunité dont jouit historiquement Israël. Un soutien inconditionnel qui s’exprime de Washington à Berlin. Le respect du droit international et la mort de milliers de civils palestiniens victimes des bombardements sont évoqués du bout des lèvres. Il n’empêche, malgré ce déni, la séquence tragique actuelle rappelle au monde que le peuple palestinien existe bel et bien.
Trop d’Israéliens aiment à nier l’identité et l’existence d’un peuple palestiniens. Il ne s’agirait que d’Arabes qui pourraient très bien s’exiler et vivre dans les pays arabes voisins. Pourtant le peuple palestinien « s’est bien construit » historiquement et internationalement.
L’existence du peuple palestinien
En 1977, l’Assemblée générale des Nations-Unies a créé un « jour international de solidarité avec le peuple palestinien », fixé à la date du 29 novembre. Cette reconnaissance internationale est une victoire symbolique et historique non négligeable. L’affirmation d’un peuple palestinien avec une identité nationale propre n’allait pas de soi. Son existence a été ignorée par certains régimes arabes (jordaniens et syriens en particulier) et continue d’être contestée par nombre de sionistes (juifs ou non, israéliens ou non) qui assimilent les Palestiniens aux autres Arabes (jordaniens) de la région. Ce déni a toujours été une manière d’exclure la revendication d’un Etat-nation palestinien.
Si la linguistique a forgé le mot Palestiniens à partir de Pelesets (en référence aux Philistins), il est plus logique de voir dans les Cananéens les ancêtres lointains des populations « palestiniennes ». Le terme de « Palestiniens » désignait communément tous les habitants de la Palestine sous mandat britannique, quelles que soient leurs origines ethniques ou religieuses.
Dès le VIIe siècle, la majorité de la population de cette région, comme dans tout le Proche-Orient, se convertit à l’islam. Il subsistera néanmoins, et ce de manière continue, des minorités significatives de chrétiens et de juifs. Avec l’affirmation des revendications nationalistes des Arabes de Palestine et la création de l’Etat d’Israël en 1948, seuls les Arabes (musulmans ou chrétiens) revendiquent une identité palestinienne propre, qui s’est affirmée progressivement au cours du XXe siècle sur la base d’une conscience collective et d’une histoire commune.
Produit de l’histoire, les Palestiniens sont un peuple arabophone, multiconfessionnel et pluriethnique, bref un peuple à l’identité plurielle. La population palestinienne est largement arabo-musulmane et sunnite. Elle se compose d’une importante minorité chrétienne (orthodoxes grecs ou arméniens, catholiques latins, grecs, protestants luthériens ou anglicans et autres rites orientaux) concentrée essentiellement à Jérusalem et Nazareth. En outre, notons la présence de communautés de Bédouins dans la vallée de Jéricho et dans le Néguev (ces derniers ont la citoyenneté israélienne); ainsi que celle d’une petite communauté de Juifs karaïtes qui se considèrent comme Palestiniens.
Du point de vue juridique et géographique, il est possible de distinguer diverses catégories de palestiniens : ceux qui habitent les territoires autonomes ou partiellement occupés de Cisjordanie et de Jérusalem-Est (2,5 millions d’habitants) et à Gaza (1,5 million); ceux établis en Israël, des Arabes de nationalité israélienne qui pâtissent d’un statut délibérément discriminatoire; ceux issus de l’une des vagues d’expulsion et d’exode (après les guerres israélo-arabes de 1948 et de 1967) et qui se sont installés dans des camps à Gaza ou – pour la plupart – dans l’un des pays arabes voisins (Jordanie, Syrie, Liban et Égypte) et pris en charge par l’UNRWA. Ces réfugiés se différencient de la diaspora palestinienne au sens strict – exilés politiques et immigration économique plus classique – installée dans le Golfe ou au-delà des frontières du monde arabe (en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest, essentiellement). Ces derniers continuent à entretenir un lien fort, matériel et immatériel, avec les territoires palestiniens.
La politique coloniale d’Israël
La politique coloniale menée par l’actuel gouvernement israélien s’inscrit dans une historie longue. Avec la Guerre des Six jours, l’armée israélienne prend possession notamment de la Cisjordanie – y compris Jérusalem-Est – et de Gaza. La résolution 242 du Conseil de sécurité (22 novembre 1967) évoque « le retrait des forces armées israéliennes de(s) Territoires occupés » dans le cadre de l’instauration d’une paix durable. Elle restera lettre morte. Au contraire, au début des années 1970, les gouvernements israéliens successifs, dirigés par le parti travailliste ou le Likoud, ont développé une politique de colonisation dans les territoires occupés. A la fin des années 1970, le discours prend une tournure religieuse. Le mouvement « Goush Emounim » (« Bloc de la foi ») se trouve conforté par l’arrivée au pouvoir de la droite nationaliste incarnée par le Likoud, laquelle accélère l’accaparement des terres arabes et la colonisation. Le mythe du « Grand Israël » incluant la Judée et la Samarie (et donc une grande partie de la Cisjordanie) renforce le soutien des (sionistes) chrétiens évangélistes à la politique de colonisation israélienne.
La recherche de la continuité territoriale entre les colonies israéliennes conduit à l’extension des quartiers de colonisation et à la constitution de véritables villes, reliées par des routes dites « de contournement » accessibles aux seuls colons. La Cisjordanie devient un territoire mité. Les restrictions de circulation en son sein en accentuent le morcellement. Enfin, un plan de judaïsation de Jérusalem-Est est clairement à l’œuvre à travers l’installation de Juifs dans la vieille ville arabe et dans ses alentours par voie d’expropriation et peu de nouvelles constructions.
Quelles que soient les raisons (stratégiques, sécuritaires ou religieuses) de la politique de colonisation, elle est contraire à la légalité internationale. Elle viole les engagements de l’Etat israélien, lequel a ratifié (en 1951) la IVe convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, et applicable aux territoires occupés par Israël depuis 1967, y compris Jérusalem-Est. L’article 49 de ce texte-phare du droit international humanitaire interdit en effet l’implantation de populations nouvelles dans un territoire conquis à la suite d’un conflit : « La puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle ». C’est sur ce fondement que les organes onusiens ne cessent de réaffirmer le caractère illégal de la colonisation israélienne. Ainsi, dans sa résolution 446 du 22 mars 1979, le Conseil de sécurité a considéré que la politique et les pratiques israéliennes consistant à établir des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés depuis 1967 n’avaient aucune validité en droit et faisaient gravement obstacle à l’instauration d’une paix générale, juste et durable au Moyen-Orient.
Les avocats inconditionnels de l’Etat israélien se plaisent à souligner qu’il représente l’« unique démocratie de la région ». Argument ignorant toute contradiction ontologique entre les valeurs de l’Etat de droit démocratique et le recours illégal et illégitime à la force, à l’occupation, à la colonisation et à des pratiques discriminatoires relevant de la logique de l’apartheid.