Ce que représentent les Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) pour moi, c’est un voyage vers l’inconnu qui nourrit mon imagination de mille visions. Les JCC ouvrent une fenêtre à travers laquelle les spectateurs peuvent voyager vers d’autres contrées, rencontrer d’autres gens, et découvrir d’autres histoires. C’est pour cela que considérer les JCC uniquement comme une fête, qu’il faut annuler par solidarité avec le peuple palestinien, est la preuve d’un dénuement flagrant de la compréhension du rôle ultime que joue la culture pour et dans chaque pays.
Cependant, ayant eu la chance de discuter avec des cinéastes Tunisiens, je comprends aussi que derrière cette annulation, il y a toutes sortes de raisons, et c’est tout un dossier très complexe qu’il va falloir ouvrir un jour si nous ne voulons pas perdre l’illusion que nous sommes encore un pays qui prône l’art, comme ultime étendard de la liberté. Mais sommes-nous encore ce pays face à ce chiffre effrayant qui nous dit que des 150 salles de cinéma que nous avions, il ne nous reste plus qu’une vingtaine ? !
Comment alors peut-on et doit-on utiliser la Culture comme une arme de destruction massive de tous les préjugés, des intolérances, de l’ignorance et des fanatismes et extrémismes de tout genre ?
Aujourd’hui, plus que jamais, nous faisons face à une machine de guerre qui ne se contente pas seulement de tuer, en toute impunité, mais elle utilise les médias pour justifier ses carnages. Or nous ne nous sommes jamais préparés pour faire face à cette machine médiatique qui broie tout sur son passage. C’est d’ailleurs pour cela que quand nous voyons un chirurgien humoriste Egyptien qui ose défier cette machine, car il en connait tous les rouages, 15 millions d’entre nous se ruent pour voir et revoir sa performance…comme si c’était le seul et dernier moyen de venger notre honneur perdu.
En fait, la culture qui cimente nos relations en temps de paix, peut être considérée comme une arme redoutable contre l’ennemi durant les conflits, les guerres ou en période de tensions. En effet, la culture joue un rôle essentiel dans la construction de l’identité nationale, voire régionale. Durant la guerre à laquelle nous faisons face, de près ou de loin, elle peut renforcer la cohésion nationale et régionale en rappelant les valeurs, les traditions et l’histoire commune qui nous rassemblent et nous unissent.
Les médias, la musique, le cinéma, la littérature, et d’autres expressions d’art peuvent non seulement influencer les opinions publiques, mais aussi renforcer la cohésion au sein de la population, la rendant plus résistante aux divisions sociales ou autres manipulations externes. C’est pour cela que les JCC auraient pu servir comme la meilleure plateforme pour diffuser non seulement les films palestiniens, mais aussi tous les films tunisiens qui parlent de la Palestine, comme par exemple, le chef d’œuvre du cinéaste Ridha Al-Behi, tourné à Gaza, en 1993 : « Les hirondelles ne meurent pas à Jérusalem ».
D’une part, et durant les temps de paix, la diplomatie culturelle est une forme de diplomatie publique qui consiste à promouvoir la culture nationale à l’étranger, afin de consolider les relations internationales. Ces échanges culturels sont à même de soutenir l’établissement de ponts entre les nations, en encourageant les compréhensions et acceptations mutuelles, voire les rapprochements qui transcendent les diverses nationalités, religions et couleurs, afin de prévenir les conflits et guérir les blessures ensevelies de notre mémoire collective.
D’autre part, la culture a toujours été un outil de résistance contre l’occupant ou l’ennemi. Par exemple, la musique, la littérature et les arts ont été utilisés pour maintenir l’identité culturelle et la fierté nationale face à toutes les oppressions. La culture et l’art Palestiniens n’auraient peut-être pas atteint cette rare beauté, si ce n’était le fait qu’ils représentent l’autre face cachée de la résistance du peuple Palestinien.
Par ailleurs, la préservation du patrimoine culturel en temps de conflits, ou de guerre peut symboliser la force et la continuité d’une nation face aux menaces. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que les Talibans ont d’abord commencé par détruire les sculptures magnifiques de Bouddha, avant d’entreprendre leur projet. Ainsi, protéger les monuments historiques, les œuvres d’art et les sites culturels peut être un moyen de préserver la mémoire collective.
De plus, les pays qui ont une culture influente dans le monde, que ce soit à travers la mode, la musique, le cinéma, la cuisine, etc., peuvent utiliser cette influence pour promouvoir leurs valeurs et traditions sur la scène internationale. Les femmes refugiées Syriennes en Europe, par exemple, ont continué à produire leurs fromages succulents comme moyen de faire connaitre la riche culture de leur pays, et démontrer leur résilience face à l’adversité. Des exemples historiques incluent la façon dont la musique a été utilisée pendant la guerre froide pour symboliser la liberté, ou comment les artistes et écrivains ont résisté à l’oppression sous les régimes totalitaires de tout bord.
En Tunisie, plus que jamais, nous devons revenir à une politique gouvernementale qui considère que le vrai Ministère de souveraineté est le celui de la culture qui devrait recevoir le plus grand budget, de même que les ministères de l’éducation et de la santé. Ce budget, au lieu d’alimenter les salaires des milliers de fonctionnaires sans résultats tangibles, devrait encourager la production du maximum de films, pièces de théâtre, expositions, musiques, livres, et de toutes créations artistiques…Il devrait aussi assurer la réouverture des 150 salles de cinéma que nous avions, ainsi que celles de tous les centres culturels et sportifs dans tous les patelins et régions rurales et urbaines.
Enfin, le gouvernement devrait garantir la liberté de croyance, de pensée et d’expression pour toutes et tous, afin que personne ne soit jamais arrêté pour ses idées qui prônent et appellent à la paix et la prospérité pour tous.
Par Khadija T. Moalla