Au nom de la France, le président Macron exprime à la fois sa solidarité avec Israël et la nécessité d’une « solution politique » dans le conflit israélo-palestinien. Lors de sa récente visite en Israël, puis à Ramallah, il a déclaré qu’ « il n’y aura pas de paix durable » sans la mise en œuvre de la solution à deux Etats « en capacité de cohabiter ». La voix de la France n’en reste pas moins peu lisible et peu audible. Beaucoup voient aussi dans d’autres déclarations, les signes d’un glissement pro-israélien. A cause notamment d’une série de ruptures sémantiques qui traduisent un glissement pro-israélien de la France.
La position traditionnelle de la France relève de ce qu’on appelle la ligne gaullo-mitterrandienne, qui consiste à prôner à la fois la garantie de la sécurité d’Israël et un Etat pour les Palestiniens. Une ligne équilibrée fondée sur deux piliers et qui s’appuie sur la lettre et l’esprit du droit international. Elle s’inscrit aussi dans une histoire longue. La France a soutenu la création de l’Etat israélien et a soutenu son armement, y compris sous sa forme nucléaire.
Un tournant a lieu en 1967, avec la Guerre des Six jours et l’attaque israélienne contre les pays arabes voisins. Dans une conférence de presse de novembre 1967, le général de Gaulle lâche cette formule polémique sur « les Juifs […] peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur »; mais il qualifie surtout l’Etat d’Israël de « guerrier et résolu à s’agrandir » … Près de 20 ans plus tard, le 2 mai 1989, le président Mitterrand reçoit le chef de l’OLP, Y. Arafat, avec les honneurs d’un chef d’État. Enfin, le président Chirac s’était rendu en voyage officiel en Israël le 22 octobre 1996, à l’occasion duquel il a exprimé, le temps d’une tirade, le sentiment d’humiliation vécu par les Palestiniens soumis à l’occupation militaire israélienne. Son face-à-face avec les services de sécurité israéliens qui s’interposaient avec zèle entre lui et la population palestinienne, venue à sa rencontre dans une ruelle proche du Saint Sépulcre, avait été ponctué par ces mots qui resteront dans les annales : « This is not a method. This is a provocation. »
Depuis les présidences Sarkozy et Hollande, on assiste à une tendance pro-israélienne de plus en plus marquée. Si l’engagement de campagne n° 59 de ce dernier prévoyait « des initiatives pour favoriser, par de nouvelles négociations, la paix et la sécurité entre Israël et la Palestine » et le soutien de « la reconnaissance internationale de l’Etat palestinien », son action fut des plus insignifiantes en la matière. Un désengagement qui s’est accompagné de discours à la tonalité pro-israélienne.
Ainsi, lors de sa visite en Israël en novembre 2013, M. Hollande déclarait qu’il trouverait toujours « un chant d’amour pour Israël et pour ses dirigeants »… Pourtant, le gouvernement israélien alors en place n’était autre que l’émanation d’une droite nationaliste dirigée par un acteur essentiel de l’échec du processus de paix, un partisan de la poursuite de la colonisation : Benyamin Netanyahou.
Depuis les présidences Sarkozy et Hollande, on assiste à une tendance pro-israélienne de plus en plus marquée
Quelques mois plus tard, en juillet 2014, face à une énième opération militaire israélienne à Gaza, l’Elysée a manifesté sa « solidarité » au gouvernement israélien en l’habilitant à « prendre toutes les mesures pour protéger sa population » (communiqué datant du 9 juillet). Si la condamnation des tirs de roquettes du Hamas était justifiée par le droit à la légitime défense, elle n’avait pas été complétée par un rappel du droit international appelant à une riposte proportionnée au nom de la protection des civils. Une omission en forme de blanc-seing qui fait clairement écho aux premières déclarations françaises suite aux bombardements israéliens en réaction à l’attaque du Hamas du 7 octobre dernier.
Emmanuel Macron a conforté l’impression d’une prise de distance avec la traditionnelle position d’équilibre de la France sur le conflit israélo-palestinien. Ainsi, depuis le début de cette nouvelle guerre, outre le sentiment d’une indignation sélective, on soulignera l’absence persistante d’appel au cessez-le-feu et de condamnation des crimes de guerre israéliens, le rappel tardif au respect du droit international, ou encore à l’interdiction initiale des manifestations en soutien aux Palestiniens. D’autres signes ne trompent pas. Alors Premier ministre d’E. Macron, Jean Castex, avait déclaré que « Jérusalem est la capitale éternelle du peuple juif » (le 24 février 2022, au dîner annuel du CRIF), en contradiction manifeste avec le droit international. Dans la continuité, il n’a pas hésité à blâmé les ONG, telles Amnesty International, qui estiment qu’Israël soumet les Palestiniens à un régime d’« apartheid ». Compte tenu du primat présidentiel sur de tels dossiers, on peut supposer que l’Elysée a donné son aval à ce type de prise de position.
En érigeant la lutte contre l’antisémitisme en vecteur de la diplomatie française dans le conflit israélo-palestinien, cela nourrit l’importation du conflit tout en brouillant la voix de la France au Moyen-Orient.
Comment expliquer ce glissement? Si celui-ci participe d’une reconfiguration de l’ordre mondial marqué notamment par la cristallisation d’un bloc occidental, l’évolution de la position française s’explique aussi par des considérations internes. Outre la présence en France des plus importantes communautés juive et musulmane d’Europe, le thème de la lutte contre l’antisémitisme (aussi louable qu’impérative) s’est imposé comme une variable de la position française dans le conflit israélo-palestinien. La tribune signée dans le New York Times – en pleine offensive militaire israélienne à Gaza (opération dite « Bordure protectrice ») – par les ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur, L. Fabius et B. Cazeneuve, et intitulée « La France n’est pas une nation antisémite » est symptomatique. Or, en érigeant la lutte contre l’antisémitisme en vecteur de la diplomatie française dans le conflit israélo-palestinien, cela nourrit l’importation du conflit tout en brouillant la voix de la France au Moyen-Orient.
Ainsi, des considérations d’ordre interne sont essentielles dans la position française. Le conflit israélo-palestinien est aussi une question de politique nationale; une source de tension par-delà les sphères communautaires et partisanes qui suscite une forme de fébrilité jusqu’au sommet de l’Etat.