La guerre de Gaza a mis en émoi le monde entier, notamment dans les pays arabes. Les Tunisiens ressentent les douleurs au rythme des confrontations et ont confirmé que les rumeurs qui ont circulé, quelques semaines auparavant, sur une possible normalisation avec l’Etat hébreux n’ont qu’une baleine d’avril.
D’habitude, à cette période de l’année, les plateaux économiques se multiplient et les débats sur le projet de la loi de finances s’intensifient. En 2023, cette loi est passée en seconde position, laissant la place aux événements sur le Moyen-Orient.
Point d’inflexion
Sur le front de la politique interne, ces affrontements ont, à notre avis, planté le dernier clou dans le cercueil de l’opposition politique en Tunisie, sous sa forme actuelle.
Le président Kaïs Saïed est un fervent opposant à toute démarche de normalisation et a toujours montré son soutien à la cause palestinienne. Ses détracteurs lui ont souvent reproché le fait qu’il en parle trop, surtout lors des commémorations des fêtes nationales.
Mais voilà que ces critiques, qui ont tenté de créer un point au passif du président, se transforment en une carte entre ses mains. La position officielle de la Tunisie n’a jamais aussi bien reflété les revendications de la population. Son message a, parfois, dépassé ce que les Tunisiens auraient aimé écouter de leur représentant. Il y a une certaine unanimité sur un possible prix à payer par un pays qui ne parvient pas à trouver des prêteurs. Toutefois, c’est ce sentiment de fierté de pouvoir s’exprimer librement, de manifester et de crier sa colère qui l’emporte.
La cote des analystes et des experts économiques a connu une chute libre, la majorité ont perdu leur crédibilité auprès des auditeurs. Depuis des années, ils ne parlent que de l’effondrement de l’État et de sa faillite. Nous voilà à quelques semaines de 2024 et le pays tient toujours bon. Indépendamment du vrai degré de résilience économique de la Tunisie, le message alarmiste ne passe plus comme avant.
En observant ce qui se passe à Gaza, les files d’attente devant les boulangeries sont de moins en moins contestées. Pour une bonne partie des citoyens, tant qu’on revienne chez-soi avec du pain, c’est un luxe par rapport à des enfants qui ne trouvent plus un seul endroit où se cacher.
L’oubliette de la mémoire collective
Pour l’opposition, ce qui s’est passé est politiquement un coup dur. Kaïs Saïed a consolidé sa cote de popularité qui trône sur le sommet. Les positions des capitales occidentales, qui se sont alignées d’une manière aveugle avec le clan israélien, ont révélé que le double discours existe bel et bien.
Les faits ont donné raison au Président à un moment où personne ne l’attendait. Même sa qualification des agences de notation de « Omek Sannafa » a trouvé du sens. Moody’s a reporté la publication de la notation d’Israël à cause de la guerre. S’il s’agissait de n’importe quel événement chez-nous, le rating aurait été mis sous surveillance négative immédiatement.
Les personnalités publiques, arrêtées dans le cadre des affaires touchant à la sûreté de l’État, ne peuvent plus compter sur le soutien occidental. Qui des tunisiens va aujourd’hui croire en la bonne foi des parlementaires européens lorsqu’ils tentent de prendre leur défense ? C’est dans leur intérêt qu’ils soient plutôt épargnés de cet appui car il ne ferait que donner raison, encore une fois, au message de Kais Saied.
Sur le front interne, le sujet n’intéresse qu’une minorité. La vérité est que le quotidien est devenu compliqué et la construction d’une démocratie pure et parfaite ne figure pas parmi les priorités du tunisien.
Dans l’absolue, cette situation n’est pas équilibrée. Il faut avoir une opposition organisée car nous sommes en train de parler d’un travail humain, par définition perfectible. Il faut une nouvelle génération, des figures qui ont un historique sans failles et qui peuvent formuler un programme réaliste qui répond aux besoins économiques de la population. Bâtir son discours rien que sur des considérations politiques serait une erreur monumentale. Le tunisien post-Gaza n’est plus celui d’avant.