La fuite, mardi 31 octobre 2023 à l’aube, de cinq dangereux terroristes de la prison de la Mornaguia, vient de rappeler aux esprits les douloureux souvenirs du terrorisme qui avait frappé la Tunisie durant la décennie noire de l’après 14 janvier 2011.
Comment de dangereux détenus impliqués dans de gravissimes affaires de terrorisme ont-ils pu s’évader de la prison de la Mornaguia? Laquelle est réputée la plus sécurisée du pays. Et alors qu’ils étaient logés dans des quartiers de haute sécurité? Cette rocambolesque cavale aurait-elle été possible sans une infiltration à l’intérieur de l’enceinte du pénitencier ou de l’extérieur?
En attendant qu’une source officielle éclaire nos lanternes, des têtes sont déjà tombées : le directeur général des services spécialisés et le directeur des renseignements relevant de la direction générale de la sûreté nationale ont été limogés, en attendant l’ouverture d’une enquête plus poussée.
Appel à témoin
En effet, c’est par une annonce émanant du ministère de l’Intérieur, mardi 31 octobre, que nous avons appris que cinq individus, emprisonnés pour leur implication dans des attaques « terroristes » et considérés comme extrêmement« dangereux », se sont évadés à l’aube de la plus grande prison de Tunisie. Leurs photos et leurs identités ont été à l’occasion diffusées. Le ministère a aussi appelé tous les citoyens à signaler à la police toute information pouvant permettre de les retrouver. En attendant, une large opération de ratissage est actuellement en cours en vue de les neutraliser.
Pour sa part, le porte-parole officiel du Comité Général des Prisons et de la Réforme, Ramzi Kouki, a indiqué, sur les ondes de Mosaïque fm, que les cinq éléments terroristes dangereux qui se sont échappés de la prison civile de Mornaguia à l’aube du mardi 31 octobre 2023 étaient « sous haute surveillance » en raison de leur « dangerosité et de leur implication dans des affaires de terrorisme ».
La même source a par ailleurs fait savoir dans une déclaration à l’agence TAP, que la ministre de la Justice a diligenté des « enquêtes administratives approfondies ». Et ce, afin de « déterminer les responsabilités respectives suite à cette évasion ».
Ansar Charia sur la ligne
Que savons-nous au juste des cinq fugitifs? Condamnés à mort pour avoir participé à de nombreuses attaques contre les forces militaires et sécuritaires, ils sont considérés comme des dirigeants de l’organisation terroriste Ansar Achariaa. Et certains sont impliqués dans les assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.
Rappelons qu’Ansar Acharia a a été active en Tunisie de 2011 à 2015 et n’avait été classée par le gouvernement tunisien en tant qu’organisation terroriste qu’en 2013. Et ce, en raison de ses liens avec les assassinats politiques de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi; ainsi que dans de nombreuses attaques dans différentes régions du pays.
En 2014, elle a également été intégrée à la liste des organisations et personnes considérées par l’ONU comme proches d’Al-Qaïda.
Parmi les cinq fugitifs, précise l’AFP qui relaye l’information, figure Ahmed Melki, 44 ans, surnommé « le Somalien ». Il est impliqué dans des assassinats de politiciens de l’opposition. Interpellé en 2014, il a été condamné en 2017 à 24 ans de réclusion pour sa participation au meurtre le 6 février 2013 à Tunis de l’opposant de gauche Chokri Belaïd, revendiqué par des islamistes extrémistes.
Toujours selon la même source, « l’enquête ouverte sur l’assassinat de M. Belaïd et sur celui le 25 juillet 2013 d’un député de gauche Mohamed Brahmi n’est toujours pas terminée, dix ans après les faits. Les deux hommes s’opposaient à la politique d’Ennahdha, alors le parti dominant au Parlement et au gouvernement ».
Soupçons de complicité
Notons dans ce contexte que le comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi a vivement réagi à cette information par la voix de l’un de ses membres, Me Leila Haddad : « Le comité de défense a été choqué d’apprendre une telle nouvelle. Ces évadés sont des dirigeants militaires au sein de l’organisation terroriste d’Ansar Achariaâ. Est-il possible qu’il y ait eu des infiltrations ayant permis leur évasion? » Ainsi s’est-elle interrogée.
« Chaque responsable doit assumer ses responsabilités. Comment se fait-il que des prisonniers aussi dangereux puissent prendre la fuite? C’est une grande question que nous adressons à la direction de la prison de la Mornaguia et au ministère de l’Intérieur », s’est encore écriée l’avocate, hier mardi 31 octobre, sur les ondes de Shems FM. Tout en soulignant que les terroristes en fuite sont « parmi les plus dangereux en Tunisie » et qu’ils détiennent des informations importantes sur les affaires des assassinats politiques. Il devaient donc de ce fait « supposés être surveillés de près ».
Alors, auraient-ils profité d’une complicité pour s’enfuir de la geôle la plus sécurisée du pays? Seule une enquête approfondie est en mesure de lever le voile sur cette sombre affaire.