Quand sonne l’heure du budget de l’État et de la loi de finances, le système financier s’invite à son tour au débat. Car il ne peut y avoir de reprise économique, de croissance forte et durable sans un échafaudage financier sain, solide, compétitif et à la pointe du progrès. L’économie réelle serait bien en peine sans d’indéniables capacités d’innovation de la sphère financière. A cette nuance près que dans l’univers de la finance, les banques sont celles qui font le plus parler d’elles et pas toujours, hélas, à leur avantage. Non que les sociétés d’assurance, de leasing, de microcrédit ou de capital risque aient moins d’importance, mais la place des banques dans la conscience collective, leur poids dans le financement de l’économie, l’émotion, de par la charge historique qu’elles suscitent, l’emportent sur le reste.
Les banques, jadis respectées, célébrées par tous d’avoir fait émerger une noria d’entreprises des décombres de la colonisation, ne paraissent plus aujourd’hui en odeur de sainteté. Il règne dans le pays comme un sentiment d’indignation et de défiance, en tout cas, d’incompréhension à l’égard du secteur bancaire. Curieusement, les banques – elles ne sont pas les seules – dégringolent dans l’appréciation et l’estime des gens à mesure qu’elles grimpent dans l’échelle des profits qui contrastent avec le reste des professions. Dans le concert des voix qui montent dans le pays, rien ou pas grand-chose d’audible qui puisse les dédouaner ou saluer leur rôle et leur apport, pourtant inestimables, à l’économie. Rien ne leur est épargné.
L’État, à court de liquidités et en grande difficulté financière, a fait des banques de la place sa vache à traire, du reste sans modération aucune
L’État, à court de liquidités et en grande difficulté financière, a fait des banques de la place sa vache à traire, du reste sans modération aucune : pression fiscale explosive, emprunts à répétition, sans fin, au risque d’évincer les acteurs économiques et de condamner ainsi à l’arrêt les principaux moteurs de la croissance. Les particuliers, pour leur part, n’arrêtent pas de se plaindre et de se lamenter de pratiques pour le moins peu conventionnelles. Les entreprises – PME/PMI notamment – ne sont pas en reste. Elles crient au scandale sinon à la trahison. Elles se plaignent d’être lâchées après que leur situation s’est fortement dégradée du fait de la Covid et d’une conjoncture mondiale difficile. Elles se disent spoliées de leur effort par des banques au management déshumanisé par l’intrusion de process à forte intensité technologique. Seules les grosses pointures au sommet de la hiérarchie des entreprises ont de moindres raisons de se plaindre. Elles pèsent si lourdement dans les bilans des banques qu’elles semblent bénéficier d’un statut privilégié. Leur chute, qu’à Dieu ne plaise, si elle venait à se produire faute de soutien bancaire, provoquerait une crise systémique et l’effondrement de tout le système bancaire. Incompréhension, malentendu ou perception, qui l’emporte sur la réalité ? Qu’importe : Le sentiment qui prévaut est que les banques déploient le parapluie par beau temps, mais le retirent dès les premiers grondements du tonnerre. Et c’est là que le bât blesse. Il y a comme une cassure, une rupture, un gap que les banques – tout autant que les autres institutions financières – doivent résorber pour soigner leur image et reconquérir la sympathie du public. Elles se digitalisent et se transforment, sous peine de disparaître, soumises qu’elles sont à des exigences prudentielles, à des règles rigoureuses de gestion du risque, à des obligations de résultat et de création de valeur pour ne pas être sanctionnées par le marché boursier. Ce nouveau mode de gouvernance fortement imprégné d’IA n’est pas du goût d’une large partie de leur clientèle qui ne les imagine pas dans ce nouveau rôle désincarné. De nouvelles formes de proximité, qui font peu de place au contact humain et aux considérations personnelles, sont à l’oeuvre. La finance s’industrialise et l’économie se financiarise.
La proximité se décline désormais dans la distance, à travers un haut débit de net et de digital. C’est le temps du prêt-à-porter, seuls quelques groupes ont encore le privilège du sur-mesure.
La proximité se décline désormais dans la distance, à travers un haut débit de net et de digital. C’est le temps du prêt-à-porter, seuls quelques groupes ont encore le privilège du sur-mesure. Cela vaut pour les banques comme pour l’ensemble de la galaxie financière. Cette tendance va en s’amplifiant et en s’accélérant. Reste que tout progrès doit être maîtrisé et doit profiter à tous. Les institutions financières, et les banques en premier, ne sont pas exemptes de pratiques qui heurtent sinon la raison, du moins la morale. Il y a, sans qu’il y ait concertation, comme une entente tacite qui bannit toute forme de surenchère et d’agressivité commerciales. Chaque banque se met plus en avant et cherche à capitaliser sur son enseigne plutôt qu’à enclencher une véritable guerre des prix qui la fera sortir de sa zone de confort. Nos institutions financières doivent balayer cette croyance qu’elles sont dans une logique de jeu à somme nulle, qu’elles gagnent ce qu’elles font perdre aux autres.
L’image des banques comme celle de l’ensemble des établissements financiers mérite un meilleur sort au regard de leur contribution à l’effort de développement national et de leur engagement en termes de responsabilité sociale.
L’image des banques comme celle de l’ensemble des établissements financiers mérite un meilleur sort au regard de leur contribution à l’effort de développement national et de leur engagement en termes de responsabilité sociale. Ils doivent reconsidérer leur relation client et baisser de plusieurs crans le curseur des charges qu’ils font peser sur leur clientèle. Cela ne les met pas en péril, bien au contraire. Au final, ils profiteront d’un retour sur investissement. La notoriété à laquelle ils aspirent a un prix. Or, les profits qu’ils affichent sonnent comme une provocation face à la morosité ambiante, à la misère des PME et à la perte de pouvoir d’achat des ménages. Il appartient à l’ensemble du secteur de préserver ce fonds de commerce, d’accompagner, de conseiller et d’aider à grandir nos entreprises, de quelque taille qu’elles soient.
Banques, assurances, leasing, microcrédit, fonds d’investissement et entreprises doivent grandir ensemble dans une logique de partenariat, sans le moindre rapport conflictuel qui abîmerait leur potentiel de croissance. Ce n’est pas un hasard si la première banque tunisienne figure au 51ème rang africain, sans que nos banques aient pignon sur rue en Afrique ou ailleurs. Qui, dans ces conditions, va servir d’éclaireur à nos entreprises dans ces contrées lointaines mais aux marchés prometteurs ? Qui va, sinon nos banques, accompagner à l’international celles qui ont l’ambition d’aller chercher la croissance ailleurs que dans l’exiguïté du marché local ? Ces interrogations, somme toute légitimes, nous interpellent. Elles sont restées jusque-là sans réponse, sans que l’on sache les raisons qui les freinent, les retardent ou s’opposent à leur expansion sur une très grande échelle et à leur internationalisation. Elles ont les compétences humaines, le savoir-faire, les moyens et les attributs qu’il faut pour figurer dans le peloton de tête des banques africaines, entraînant dans leur sillage nos entreprises, enserrées dans le corset étroit du marché national. Manquent-elles à ce point d’envie et d’ambition ? A moins que…
L’édito est disponible dans le Spécial Finance du mois d’octobre du mag de l’Economiste Maghrébin